Introduction
Dans le domaine de la formation professionnelle, la question du retour sur investissement (ROI) se pose de plus en plus avec acuité. Les organismes de formation - qu'il s'agisse de centres de formation ou de formateurs indépendants – doivent prouver concrètement la valeur de leurs interventions. Il ne suffit plus d'accumuler des témoignages clients élogieux ou des évaluations de satisfaction à chaud. Les dirigeants d'organismes de formation comme les responsables RH exigent désormais des preuves tangibles de l'efficacité des formations dispensées, afin de justifier l'investissement financier consenti par les entreprises ou les individus bénéficiaires. Dans un contexte où la formation professionnelle en France est à la fois encouragée (via des dispositifs comme le CPF, compte personnel de formation) et réglementée (avec la certification Qualiopi imposant un haut niveau de qualité), mesurer l'impact réel des actions de formation est devenu indispensable.
Cette exigence répond à un double objectif : optimiser la performance des formations en interne et renforcer la crédibilité de l'organisme de formation vis-à-vis de ses clients et partenaires. Un contenu bien conçu et efficace ne profite pleinement que s'il peut démontrer ses effets sur le terrain – en termes de compétences acquises, de comportements modifiés ou de résultats améliorés. C'est pourquoi nous proposons, dans cet article, d'aller au-delà des témoignages clients pour explorer comment évaluer rigoureusement le ROI d'une formation. Nous aborderons les principes théoriques (pédagogie vs andragogie, modèles d'évaluation), les méthodes pratiques de mesure (indicateurs clés, évaluations à chaud et à froid, suivi post-formation), les contraintes réglementaires (exigences Qualiopi, référentiels de compétences officiels) et les bonnes pratiques pour valoriser les résultats auprès des clients.
L'objectif est d'offrir une vue d'ensemble extrêmement fouillée – équivalente à un document de recherche – sur la mesure du ROI des formations, dans un ton institutionnel adapté à une entreprise comme Argalis. Que vous soyez un formateur souhaitant convaincre vos clients, ou un dirigeant d'organisme de formation cherchant à optimiser son offre, vous y trouverez des repères conceptuels, des données issues de sources officielles (DARES, INSEE, OCDE, etc.) et des recommandations actionnables. Au-delà des anecdotes et ressentis, place aux faits et aux chiffres : car mesurer le ROI de vos formations, c'est prouver la valeur ajoutée de votre ingénierie pédagogique et asseoir votre sérieux professionnel.
1. Pourquoi mesurer le ROI de vos formations ?
ROI, un indicateur clé pour la formation professionnelle. Dans le monde de l'entreprise, le retour sur investissement (ROI) est un critère bien connu pour évaluer la rentabilité d'un projet ou d'une dépense. Appliqué à la formation, le ROI vise à quantifier les bénéfices concrets qu'une organisation retire de son investissement dans le développement des compétences. Pendant longtemps, la formation a pu être perçue comme un centre de coût nécessaire mais difficile à évaluer objectivement. Cependant, la pression accrue sur les budgets et la recherche de performance ont mis en lumière un impératif: mesurer l'efficacité et l'impact des actions de formation de manière aussi rigoureuse que possible. Pour un organisme de formation, être capable d'afficher un ROI positif et solide est un argument de poids auprès des clients (entreprises financeuses ou apprenants eux-mêmes). Cela crédibilise l'offre en démontrant que la formation n'est pas seulement une dépense contrainte (souvent rendue obligatoire par des réglementations ou le plan de développement des compétences), mais un investissement stratégique qui génère des retombées tangibles.
Justifier l'investissement des clients. Du point de vue du client (entreprise ou individu), financer une formation représente un investissement : frais pédagogiques, mobilisation de temps de travail, parfois coûts logistiques... Il est donc légitime qu'il s'attende à un retour en proportion. Un dirigeant d'entreprise cherchera par exemple à savoir si la formation de ses salariés a permis d'améliorer la productivité, de réduire des coûts (baisse du nombre d'erreurs, gains de temps) ou d'augmenter le chiffre d'affaires (meilleures ventes grâce à de nouvelles compétences commerciales). Un travailleur indépendant qui utilise son CPF voudra vérifier que la formation suivie l'aide à développer son activité ou à évoluer professionnellement. En mesurant le ROI, on apporte la preuve que la formation crée bel et bien de la valeur – que cette valeur soit financière (retombées économiques mesurables) ou non financière (développement de compétences, montée en expertise, meilleur taux de fidélisation des employés, etc.). Cette preuve est souvent décisive pour justifier l'investissement auprès des décideurs et pour pérenniser les budgets formation. En outre, dans une optique de fidélisation, un organisme de formation qui démontre concrètement ses résultats a plus de chance de voir ses clients revenir régulièrement.
Renforcer la qualité et la conformité (Qualiopi et obligations légales). Mesurer le ROI de vos formations n'est pas seulement un choix marketing, c'est aussi devenu une exigence qualité. Le cadre réglementaire français impose depuis 2022 que les prestataires d'actions de développement des compétences soient certifiés Qualiopi (pour accéder aux fonds publics ou mutualisés). Or le référentiel Qualiopi comprend plusieurs indicateurs liés à l'évaluation de la formation. Par exemple, l'indicateur 11 du Référentiel national qualité stipule que “Le prestataire évalue l'atteinte par les publics bénéficiaires des objectifs de la prestation"1. En clair, chaque organisme de formation certifié doit mettre en place des dispositifs permettant de vérifier si les objectifs pédagogiques et professionnels annoncés ont été atteints par les apprenants. Le guide de lecture Qualiopi précise par ailleurs que cette évaluation doit s'appuyer sur des preuves telles que des évaluations des acquis réalisées « à chaud et à froid »2, c'est-à-dire non seulement immédiatement en fin de formation, mais aussi avec du recul (quelques semaines ou mois après) pour mesurer l'ancrage des compétences dans la durée. Ainsi, mesurer l'efficacité et le ROI de vos formations s'inscrit pleinement dans la démarche qualité exigée par Qualiopi : c'est un gage de sérieux et de professionnalisme. De même, certains financements (par exemple via les opérateurs de compétences ou le CPF) attendent des éléments de bilan prouvant la pertinence de la formation suivie. Enfin, rappelons que la loi oblige désormais les entreprises de plus de 50 salariés à réaliser un entretien professionnel avec leurs employés incluant un état des formations suivies et leurs effets sur l'évolution du salarié. On voit donc que l'environnement légal et institutionnel pousse fortement à l'évaluation rigoureuse des formations.
Optimiser et piloter l'offre de formation. Au-delà de la justification externe, la mesure du ROI a une vertu interne précieuse : elle permet à l'organisme de formation d'améliorer en continu ses prestations. En effet, évaluer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans ses parcours pédagogiques fournit un retour d'information essentiel pour ajuster l'ingénierie pédagogique, affiner les contenus, les modalités (présentiel, digital learning, AFEST...) et même la sélection des formateurs. Une formation dont l'impact mesuré est faible ou nul pourra être repensée (objectifs trop ambitieux ou mal alignés sur les besoins, méthodes pédagogiques inadaptées au public adulte, etc.). À l'inverse, l'identification des formations au ROI élevé permettra de valoriser ces "success stories" et d'en reproduire les ingrédients à succès dans d'autres programmes. En somme, mesurer le ROI s'inscrit dans une logique de pilotage par la performance: on gère son catalogue et son activité sur la base d'indicateurs concrets (KPI de formation) plutôt que sur des intuitions. Cette approche factuelle renforce la légitimité du responsable formation ou du dirigeant face à ses parties prenantes (conseil d'administration, financeurs, clients B2B, etc.), car il parle le langage universel des chiffres et de l'evidence-based.
Enfin, soulignons que la formation professionnelle est aujourd'hui un secteur très concurrentiel, où les entreprises clientes font jouer la concurrence entre organismes. Dans ce contexte, afficher des résultats mesurés (par exemple un pourcentage moyen d'augmentation de performance des apprenants, ou un taux de réussite à une certification) peut constituer un avantage compétitif décisif. Cela participe aussi à donner d'Argalis (éditeur de logiciels SaaS pour la formation, dont le blog publie cet article) une image de sérieux et de profondeur intellectuelle, puisqu'on s'appuie sur des données objectives et des références scientifiques.
2. Les limites des témoignages clients comme seule preuve d'efficacité
Beaucoup d'organismes de formation mettent en avant les témoignages de satisfaction de leurs clients ou stagiaires pour promouvoir leurs services. Il est vrai que les appréciations positives – qu'il s'agisse de commentaires enthousiastes à chaud en fin de stage, de notes élevées attribuées sur des questionnaires de satisfaction, ou de courriers de remerciement d'entreprises - sont encourageantes. Toutefois, se reposer exclusivement sur ces retours subjectifs présente plusieurs limites majeures lorsqu'il s'agit de prouver la valeur réelle d'une formation.
Satisfaction n'est pas performance. D'abord, rappelons qu'un apprenant satisfait ne signifie pas automatiquement un apprenant qui a appris ou progressé de façon significative. La pédagogie moderne nous enseigne qu'une formation peut être appréciée (parce qu'agréable, ludique, bien animée) sans pour autant avoir un impact durable sur les compétences ou le comportement. À l'inverse, une formation exigeante et rigoureuse peut susciter des retours tièdes "à chaud" tout en produisant des résultats concrets quelques mois plus tard (après coup, l'apprenant réalise ce que la formation lui a apporté). Une note de veille du ministère (CEDIP) indiquait déjà que « l'évaluation de la satisfaction est utilisée dans 90% des sessions de formation », tant elle est facile à mettre en œuvre, mais que les informations recueillies de manière déclarative ne permettent pas une mesure objective de la qualité du dispositif3. En clair, pratiquement tout le monde fait des questionnaires de satisfaction en fin de formation – c'est même le niveau 1 de l'évaluation classique - mais ce retour d'opinion, aussi utile soit-il, ne constitue pas une preuve suffisante de l'efficacité de la formation. Le même document souligne que la satisfaction exprimée dépend de nombreux biais (subjectivité, émotions du moment, comparaisons personnelles) et qu'une formation de grande qualité pédagogique peut recevoir des avis mitigés si elle a mis les apprenants en difficulté4. En somme, le témoignage client est par nature subjectif, influencé par le contexte et les attentes individuelles. Il donne une indication (sur le vécu et l'acceptation de la formation) mais pas une mesure objective des acquis ni de l'impact opérationnel.
Le risque du biais de complaisance. Par ailleurs, les témoignages mis en avant par un organisme de formation sont en général sélectionnés : on publie sur son site ou dans ses brochures les avis les plus favorables, ce qui est de bonne guerre commerciale mais peut être perçu comme peu objectif. De plus, certains apprenants ou commanditaires hésitent à formuler des critiques franches, surtout en public, par courtoisie ou pour ne pas froisser le prestataire - on parle alors de biais de complaisance. S'appuyer seulement sur des retours qualitatifs laudatifs sans aucune donnée chiffrée peut susciter la méfiance chez un client exigeant. En effet, un responsable formation expérimenté sait que « 100% de taux de satisfaction » ou « tous nos clients sont ravis » ne veut pas dire grand-chose s'il n'y a pas en face des indicateurs comme un taux d'atteinte des objectifs, une amélioration mesurée des compétences, etc. Aujourd'hui, avec la culture du data-driven et des KPIs, les décideurs attendent des chiffres étayés, pas seulement des exclamations enthousiastes.
Témoignages à chaud vs résultats à long terme. Un autre écueil des témoignages clients classiques est leur temporalité. Ils sont généralement recueillis à chaud, c'est-à-dire immédiatement ou peu après la formation. Or, les résultats concrets sur le terrain se manifestent souvent à moyen terme : plusieurs semaines ou mois peuvent être nécessaires avant qu'un collaborateur ne mette en pratique ses nouvelles compétences, ou qu'un changement de comportement induit par la formation ne produise des effets visibles (par exemple une amélioration de la satisfaction client, ou une baisse des accidents du travail). Se contenter des retours immédiats, c'est prendre une photo instantanée qui ne capture pas l'évolution dans le temps. C'est pourquoi les experts préconisent de réaliser également des évaluations dites "à froid" (ex.: questionnaires ou entretiens 3 mois après la formation) afin de mesurer ce qui a réellement été retenu et appliqué. Un témoignage client recueilli à froid aura souvent plus de valeur probante : par exemple, un manager pourra dire « trois mois après la formation, j'observe une nette amélioration des performances de mon équipe, nos ventes mensuelles ont augmenté de 10% ». Ce type de feedback, étayé par un chiffre, se rapproche déjà plus d'une mesure de ROI que le classique « formation très intéressante et formateur dynamique » noté sur un formulaire de fin de stage.
De la preuve anecdote à la preuve scientifique. En synthèse, les témoignages clients relèvent de la "preuve anecdotique" : ils apportent un éclairage qualitatif, souvent utile en communication, mais ne suffisent pas à prouver la valeur d'une formation auprès d'un public exigeant ou d'un auditeur qualité. Pour convaincre des décideurs (directions générales, financeurs publics, etc.), il faut passer à un niveau de preuve supérieur : des données agrégées, des indicateurs, éventuellement des comparatifs avant/après ou groupe témoin, qui relèvent d'une démarche quasi-scientifique. C'est tout l'enjeu de la mesure du ROI: objectiver l'impact, passer du ressenti subjectif à la mesure factuelle. Cette exigence n'invalide pas l'importance d'un bon témoignage client (qui reste un outil de marketing très efficace pour attirer de nouveaux apprenants), mais elle incite à l'inscrire dans un dispositif d'évaluation plus large. Comme le résume un adage bien connu du management : « On ne peut améliorer que ce que l'on mesure ». Appliqué à la formation, on pourrait dire : on ne peut valoriser sérieusement qu'une formation dont on a mesuré les effets au-delà des impressions.
3. ROI d'une formation : définition et cadre conceptuel
Avant de plonger dans les méthodes de mesure, clarifions ce que l'on entend exactement par ROI d'une formation. ROI signifie Return On Investment, soit retour sur investissement. C'est un ratio financier généralement exprimé en pourcentage, calculé par la formule :
ROI = (bénéfices de la formation – coût de la formation) / coût de la formation × 100.
En d'autres termes, on compare ce que la formation a rapporté à ce qu'elle a coûté. Si le ROI est supérieur à 100%, la formation a rapporté plus qu'elle n'a coûté (on parle alors parfois de ROI positif ou surinvestissement profitable); s'il est de 0%, la formation a tout juste été rentabilisée; et un ROI négatif (sous 0%) signifie que la formation a coûté plus qu'elle n'a rapporté en bénéfices tangibles. Attention toutefois : dans le contexte de la formation, tous les bénéfices ne sont pas monétaires et immédiatement visibles dans un compte de résultat. La notion de ROI de formation est donc à prendre dans un sens plus large que la simple rentabilité financière à court terme.
Le ROI "dur" vs le ROI "doux". On distingue souvent les retombées "dures” (hard ROI), directement chiffrables en euros, et les retombées "molles" (soft ROI), qui restent qualitatives ou indirectes mais n'en sont pas moins importantes. Par exemple, une formation commerciale peut se traduire par un hard ROI mesurable : augmentation des ventes de X%, marge additionnelle générée de Y euros dans les 6 mois suivant la formation, etc. À l'inverse, une formation sur le leadership ou sur le bien-être au travail aura des effets plus diffus: meilleure ambiance d'équipe, réduction du stress, ce qui in fine peut réduire le turnover du personnel (et donc faire des économies de coûts de recrutements), mais mettre un chiffre précis sur ce "ROI social” est délicat. Il convient donc d'élargir la définition du ROI de formation à la notion de valeur ajoutée globale apportée par la formation, englobant les gains de compétence, les améliorations de performance, et les effets induits (ex: une meilleure qualité de service client après formation entraine une hausse de la fidélisation client, qui a une valeur économique). En somme, mesurer le ROI de la formation, c'est chercher à relier la formation aux résultats obtenus grâce à elle - qu'ils soient financiers, opérationnels ou humains - et comparer ces résultats aux ressources investies.
Le modèle des "4 niveaux" de Kirkpatrick. Pour bien cerner ce qu'on peut mesurer, il est utile de présenter le cadre conceptuel le plus connu en évaluation de formation: le modèle de Kirkpatrick. Conçu à la fin des années 1950 par Donald Kirkpatrick (universitaire américain), puis affiné au fil du temps, ce modèle distingue quatre niveaux d'évaluation des effets d'une formation5 :
- Niveau 1 – Réaction : c'est le ressenti des participants, leur satisfaction immédiate. Mesuré via des questionnaires de satisfaction, des retours à chaud. Exemple d'indicateur : taux de satisfaction (pourcentage des participants se déclarant satisfaits ou très satisfaits). C'est le niveau le plus basique, centré sur la perception de la formation.
- Niveau 2 – Apprentissage: il s'agit des connaissances ou compétences effectivement apprises pendant la formation. On mesure ce que les participants ont retenu ou acquis. Typiquement via des tests, quiz, mises en situation, certifications à la fin de la formation. Exemples d'indicateurs : score moyen à un test de connaissances en fin de stage, taux de réussite à un examen, comparaison pré-test / post-test. Ce niveau évalue l'efficacité pédagogique immédiate.
- Niveau 3 – Comportement (ou transfert) : c'est l'application des acquis en situation de travail. Autrement dit, est-ce que le participant formé met en œuvre ce qu'il a appris une fois de retour à son poste ? On évalue des changements de comportement, de pratiques professionnelles, généralement quelques temps après la formation. Méthodes: enquêtes "à froid" auprès des participants et de leur hiérarchie, observation en situation de travail (c'est là que des approches comme l'AFEST – Action de Formation en Situation de Travail – peuvent exceller, en permettant d'observer directement l'apprenant sur le terrain), évaluation par le manager, etc. Indicateurs possibles: % de participants qui utilisent effectivement la nouvelle compétence dans leur travail, mesure d'amélioration individuelle (ex: nombre de dossiers traités par jour avant/après).
- Niveau 4 - Résultats : le plus haut niveau, celui des résultats organisationnels ou business. Ici, on cherche les impacts finaux de la formation sur l'entreprise ou l'organisation cliente : augmentation de la productivité globale, hausse du chiffre d'affaires, amélioration de la qualité, baisse des accidents, réduction des coûts, etc. C'est au niveau 4 qu'on peut véritablement parler de ROI financier si on arrive à monétiser ces résultats. Exemples: gain de productivité de +0,4% dans l'entreprise suite à un plan de formation6, baisse du taux de défauts de fabrication de 30%, ce qui économise X euros par an. Ce niveau est le plus complexe à mesurer car il nécessite de relier la formation à des indicateurs influencés par de multiples facteurs.
Kirkpatrick n'incluait pas explicitement le calcul de ROI financier dans son modèle initial, mais un autre expert (Jack Phillips) a proposé plus tard d'ajouter un 5e niveau correspondant précisément au calcul du ROI (coût/bénéfices monétaires). Dans la pratique, on considère souvent que le niveau 4 inclut l'évaluation du ROI, car si l'on sait quantifier les résultats (niveau 4), on peut en déduire le ROI en les comparant aux coûts.
Ce modèle de Kirkpatrick constitue un référentiel structurant pour l'ingénierie de l'évaluation. Il rappelle que la valeur d'une formation se manifeste sur plusieurs plans - satisfaction, apprentissage, comportement, résultats - et qu'il faut idéalement collecter des informations à chacun de ces niveaux pour avoir une vision complète. Par exemple, beaucoup d'organismes se limitent historiquement au niveau 1 (satisfaction) et parfois niveau 2 (acquis mesurés par un quiz). Mais sans niveau 3 et 4, on ne sait pas si la formation a un impact dans la "vraie vie". Or, c'est bien le transfert effectif des compétences et l'impact sur les performances qui intéressent les clients au final. On comprend mieux, à la lumière de ce modèle, pourquoi les témoignages clients ne sont qu'au niveau 1 et ne sauraient suffire à démontrer un ROI. Il faut monter dans l'échelle : évaluer ce qui a été appris, puis observé en application, puis ce que cela a produit comme résultats concrets.
Alignement sur les objectifs et référentiels de compétences. Un point essentiel dans la définition du ROI d'une formation est l'alignement avec les objectifs initiaux. Pour pouvoir mesurer un résultat, encore faut-il savoir ce qu'on visait. D'où l'importance, en amont de la formation, de définir précisément des objectifs opérationnels ou des compétences cibles. Les experts en ingénierie pédagogique recommandent d'établir un référentiel pour chaque formation, c'est-à-dire la liste des compétences visées et le niveau attendu, ainsi que les modalités d'évaluation correspondantes. D'ailleurs, France Compétences (l'autorité de régulation de la formation professionnelle et des certifications) insiste sur le fait que « l'évaluation s'appuie en premier lieu sur un référentiel qui décrit les modalités de l'évaluation, modalités qui doivent provoquer des situations observables »7. Cette approche par référentiel garantit que l'on évalue bien ce qui est pertinent, via des situations concrètes. Par exemple, si une formation vise la compétence "animer une réunion productive”, le référentiel pourra prévoir qu'en évaluation, le stagiaire anime une réunion simulée observée par le formateur selon une grille. Ainsi, on pourra juger si l'objectif est atteint (niveau 2). À partir de là, le ROI (niveau 4) pourrait être, par exemple, que grâce à ces nouvelles compétences d'animation, les réunions dans l'entreprise sont 20% plus courtes et aboutissent à plus de décisions, ce qui fait gagner du temps et de l'argent – on voit le lien entre le niveau 2 mesuré et un résultat business. Sans ce travail de clarification initiale, la mesure du ROI risque d'être floue, car on ne saura pas exactement quels effets chercher. En somme, pas de ROI solide sans objectifs précis: c'est un principe fondamental.
ROI et andragogie: la valeur perçue par l'adulte. Enfin, un détour par la théorie de l'andragogie (l'art d'enseigner aux adultes, concept popularisé par Malcolm Knowles) nous éclaire sur l'importance du ROI du point de vue de l'apprenant lui-même. Knowles identifie parmi les spécificités de l'adulte-apprenant le "besoin de savoir pourquoi il doit apprendre quelque chose avant de s'engager"8. En effet, « les adultes considèrent longuement les bénéfices d'un apprentissage tout comme les coûts s'ils ne devaient pas apprendre », note Knowles9. Cette phrase renvoie directement à la notion de ROI perçu: un adulte va se motiver s'il anticipe un retour sur son investissement personnel (en temps, en effort). Il veut pouvoir identifier « les compétences qu'il va acquérir et leurs effets sur le plan personnel et professionnel »10. Ainsi, prouver le ROI d'une formation n'est pas qu'une exigence de financeur ou de manager, c'est aussi répondre aux attentes intrinsèques des apprenants adultes, qui recherchent la valeur d'usage de la formation. En montrant clairement les résultats qu'ils peuvent en tirer (meilleure employabilité, évolution de carrière, performance accrue, etc.), on renforce leur motivation et leur engagement. C'est un point crucial: la promesse d'un ROI concret contribue à impliquer les participants dès le départ, ce qui en retour augmente les chances qu'ils apprennent effectivement et appliquent – un cercle vertueux. On voit donc que la notion de ROI s'inscrit également dans un cadre plus large de motivation et de pédagogie de l'adulte.
Conclusion
Évaluer et prouver le ROI de vos formations est devenu incontournable dans le paysage de la formation professionnelle en France. Au-delà des témoignages clients qui flattent l'ego mais n'emportent plus la conviction des décideurs, c'est une démarche rigoureuse, outillée et appuyée sur des sources fiables qu'il faut mettre en place pour démontrer concrètement la valeur de vos interventions. Cela implique de penser les formations en termes d'objectifs et de résultats mesurables, de collecter des données à tous les niveaux (réaction, apprentissage, comportement, résultats) et de savoir analyser ces données pour en extraire une histoire claire du succès (ou des axes d'amélioration).
Certes, mesurer le ROI de la formation pose des défis méthodologiques, mais comme nous l'avons vu, des solutions existent – et surtout, les bénéfices de cette démarche dépassent largement les efforts investis. En prouvant votre ROI, vous justifiez l'investissement de vos clients avec des arguments chiffrés imparables, vous renforcez votre crédibilité sur un marché concurrentiel, et vous participez à élever le niveau d'exigence et de qualité dans le domaine de la formation des adultes. Vous parlez le langage du monde de l'entreprise, qui est avide de preuves tangibles et de retours concrets sur chaque dépense.
En définitive, mesurer le ROI de vos formations, c'est faire preuve de sérieux et de profondeur dans votre pratique. C'est passer d'un rôle de simple dispensateur de savoir à celui de partenaire stratégique de vos clients, qui les aide à atteindre leurs objectifs opérationnels. Les organismes de formation qui adoptent cette approche se distinguent nettement : ils ne vendent pas juste des heures de cours, ils vendent de la performance améliorée et du changement réussi. Chez Argalis, nous sommes convaincus que cette orientation vers le ROI concret et la preuve par les faits est gagnante sur le long terme, pour les formateurs comme pour les entreprises et les apprenants. Elle contribue aussi à valoriser la formation professionnelle dans son ensemble, en montrant qu'elle n'est pas une dépense "facultative" facilement sacrifiée, mais un investissement stratégique aussi vital que la R&D ou la transformation digitale.
Bibliographie et sources
- 1 Ministère du Travail - DGEFP (2024). Guide de lecture du Référentiel national Qualité (Qualiopi), version 9. URL : https://travail-emploi.gouv.fr/sites/travail-emploi/files/2024-07/guide_qualiopi_0.pdf
- 2 Ibid.
- 3 Ministère de l'Écologie – CEDIP (2007). Fiche “Évaluer la satisfaction des participants à une action de formation" (En Lignes n°39). URL : https://www.cmvrh.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Fiche_EL39_-_eval_satisfaction_cle72deba-1.pdf
- 4 Ibid.
- 5 Kirkpatrick, D. (1994). Evaluating Training Programs: The Four Levels. Berrett-Koehler.
- 6 Aubert, P., Crépon, B., Zamora, P. (2006). Le rendement apparent de la formation continue dans les entreprises : effets sur la productivité et les salaires. Document de travail Insee G2006/03. URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1380682
- 7 France Compétences (2021). Note de doctrine sur le référentiel d'évaluation des compétences professionnelles. URL : https://www.francecompetences.fr/app/uploads/2021/10/Pr%C3%A9conisations-relatives-%C3%A0-l%C3%A9valuation-des-comp%C3%A9tences_V15-10-1.pdf
- 8 Knowles, M. S., Holton III, E. F., & Swanson, R. A. (2005). The adult learner: The definitive classic in adult education and human resource development (6th ed.). Elsevier.
- 9 Ibid.
- 10 Ibid.
- 11 DARES (2025). Effet de la formation professionnelle sur la demande de travail des entreprises pour des candidats en reconversion. Rapport d'études n°63. URL : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/effet-de-la-formation-professionnelle-sur-la-demande-de-travail-des-entreprises
- 12 Aubert, P., Crépon, B., Zamora, P. (2006). op. cit.
- 13 Mezirow, J. (1978). "Perspective Transformation." Adult Education Quarterly, 28(2), 100-110. URL : https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/074171367802800202