Retour au blog

Recruter et gérer des formateurs : les clés d’une équipe performante.

Argalis Logo Le BLOG
#34

Introduction : Le paradoxe de la croissance pour l'organisme de formation

La croissance d'un organisme de formation est une validation de son expertise et de la pertinence de son offre. Cependant, ce succès engendre un défi majeur : la transition d'un modèle centré sur un ou quelques experts fondateurs vers la constitution d'une équipe pédagogique structurée et performante. Passer du statut de formateur-dirigeant à celui de manager d'un collectif d'experts ne s'improvise pas. Cette mutation stratégique, si elle n'est pas rigoureusement anticipée et pilotée, peut fragiliser la qualité des prestations, diluer la proposition de valeur et, in fine, compromettre la pérennité de l'activité.

Cet article propose une analyse approfondie des leviers stratégiques, juridiques et managériaux permettant de structurer une équipe de formateurs d'excellence. Il s'adresse aux dirigeants d'organismes de formation et aux formateurs indépendants en phase de croissance, soucieux de bâtir un collectif pérenne, aligné sur des standards de qualité élevés et capable de répondre aux exigences réglementaires, notamment celles du référentiel national qualité Qualiopi. Nous nous appuierons sur des concepts fondamentaux de l'andragogie, de l'ingénierie pédagogique et du management des compétences, en nous référant exclusivement à des sources institutionnelles et académiques.


Partie 1 : Les Fondations Stratégiques du Recrutement d'un Formateur

1.1. L'analyse des compétences : cartographier l'existant et l'avenir

Le recrutement ne doit pas être une simple réponse à une surcharge d'activité, mais une démarche proactive de construction de compétences.

Du besoin immédiat à la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC)

La première étape consiste à dépasser la simple fiche de poste pour élaborer un référentiel de compétences interne. Ce document stratégique doit cartographier :

  • Les compétences clés existantes : L'expertise technique (le "savoir"), les compétences pédagogiques (le "savoir-faire") et les qualités relationnelles (le "savoir-être") qui constituent la force actuelle de l'organisme.
  • Les compétences cibles : Celles qui seront nécessaires pour déployer de nouvelles offres de formation, intégrer de nouvelles modalités (comme le digital learning ou l'AFEST - Action de Formation en Situation de Travail), ou répondre aux évolutions des certifications inscrites au RNCP (Répertoire National des Certifications Professionnelles) ou au Répertoire Spécifique (RS).

Cette démarche, inspirée de la GPEC, permet d'objectiver le recrutement et de le lier directement à la stratégie de développement. Elle constitue par ailleurs un élément de preuve fondamental dans le cadre de l'indicateur 21 de Qualiopi, qui exige de l'organisme qu'il "détermine, mobilise et évalue les compétences des différents intervenants internes et/ou externes, adaptées aux prestations" (Ministère du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, 2023).

1.2. Le statut du formateur : une décision juridique et stratégique

Le choix du statut juridique des formateurs a des implications profondes sur la structure de coûts, la flexibilité et la culture de l'organisme.

  • Le formateur salarié (CDI/CDD) : Il offre une stabilité et favorise l'intégration du formateur à la culture d'entreprise. Il implique cependant des charges sociales plus élevées et une moindre flexibilité. Ce statut est régi par le Code du travail et la convention collective des organismes de formation.
  • Le formateur indépendant (prestataire) : Il apporte une grande flexibilité et permet d'accéder à des expertises très pointues pour des missions spécifiques. La relation est encadrée par un contrat de prestation de services. La vigilance est de mise pour éviter tout risque de requalification en contrat de travail, notamment en prévenant l'existence d'un lien de subordination juridique permanent (Cour de cassation, ch. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13187).
  • Le portage salarial : Il représente un hybride, combinant l'autonomie de l'indépendant et la protection sociale du salariat. L'organisme de formation contractualise avec l'entreprise de portage, qui salarie le formateur.

Le choix doit être arbitré en fonction du volume d'activité prévisionnel, de la récurrence des besoins et de la volonté de construire un noyau dur de compétences en interne.

1.3. La culture pédagogique : le ciment du collectif

Recruter un expert ne suffit pas ; il faut recruter un expert compatible avec l'ADN pédagogique de l'organisme. Il est impératif de formaliser et de partager une vision commune de l'acte de formation. Cette culture peut s'articuler autour de :

  • Principes andragogiques clairs : L'approche est-elle centrée sur l'apprenant, son expérience et son autonomie, comme le préconisait Malcolm Knowles, pionnier de l'éducation des adultes ? Knowles (1980) insistait sur le fait que les adultes ont besoin de savoir pourquoi ils apprennent quelque chose et préfèrent une approche orientée vers la résolution de problèmes.
  • Modalités pédagogiques privilégiées : L'organisme favorise-t-il une approche expérientielle (inspirée du cycle de Kolb), l'apprentissage par projet, le blended learning ?
  • Une posture de formateur définie : Le formateur est-il un transmetteur de savoir, un facilitateur, un coach ?

L'explicitation de cette culture est un filtre puissant lors du recrutement et le socle de la cohérence des prestations délivrées, un critère essentiel pour la satisfaction des clients et des financeurs comme le CPF (Compte Personnel de Formation).


Partie 2 : Le Processus de Recrutement : Identifier et Valider l'Excellence Pédagogique

Un processus de recrutement structuré et rigoureux est le meilleur garant de la qualité future de l'équipe.

2.1. L'évaluation des compétences : au-delà du CV

L'évaluation d'un formateur doit porter sur trois dimensions indissociables.

L'expertise métier (le "savoir")

Elle se vérifie par les diplômes, les certifications et l'expérience professionnelle. Il est crucial de s'assurer que cette expertise est à jour, notamment dans les secteurs à forte évolution technologique ou réglementaire.

L'ingénierie pédagogique (le "savoir-faire")

C'est la capacité à traduire une expertise en un parcours d'apprentissage efficace. L'évaluation peut se faire via :

  • Une mise en situation professionnelle : Demander au candidat de concevoir une courte séquence pédagogique sur un sujet donné, incluant objectifs pédagogiques (selon la taxonomie de Bloom, par exemple), méthodes, outils et modalités d'évaluation.
  • L'analyse de réalisations antérieures : Examen de supports de formation, de scénarios pédagogiques ou de modules de digital learning déjà conçus.

La posture et les "soft skills" (le "savoir-être")

C'est souvent le critère le plus discriminant. Il s'agit d'évaluer la capacité du formateur à créer un climat de confiance, à gérer un groupe, à faire preuve d'empathie et d'écoute active. Comme le souligne Philippe Carré (2005), la motivation à apprendre ("l'apprenance") est intimement liée à la qualité de la relation pédagogique. Un entretien structuré, basé sur des questions comportementales ("Donnez-moi un exemple de situation où vous avez dû gérer un participant difficile..."), permet d'objectiver cette dimension.

"L'enseignant médiocre expose. Le bon enseignant explique. L'excellent enseignant démontre. Le grand enseignant inspire." - William Arthur Ward (citation souvent reprise dans le champ éducatif pour illustrer l'importance de la posture).


Partie 3 : L'Intégration et le Management au Quotidien

Le recrutement réussi n'est que le début du processus. La performance d'une équipe se construit dans la durée, à travers une intégration soignée et un management adapté.

3.1. L'onboarding du formateur : une étape critique pour la conformité et la performance

Un parcours d'intégration (ou "onboarding") est indispensable pour garantir l'alignement du nouveau formateur avec les standards de l'organisme. Ce parcours doit couvrir :

  • L'appropriation du cadre Qualiopi : Présentation des processus qualité de l'organisme, des outils de suivi, des exigences en matière de traçabilité, de recueil des appréciations (indicateur 30) et de gestion des abandons.
  • La maîtrise des outils et process internes : Prise en main du logiciel de gestion de la formation (LMS/TMS), des plateformes de digital learning, des modèles de documents administratifs (conventions, feuilles d'émargement, etc.).
  • L'immersion dans la culture pédagogique : Participation à des sessions animées par des formateurs expérimentés, co-animation, relecture des supports pédagogiques.

Un onboarding structuré réduit le temps nécessaire pour que le formateur soit pleinement opérationnel et garantit une homogénéité dans la qualité de service.

3.2. Manager une équipe d'experts : du contrôle à l'animation

Manager des formateurs, qui sont par nature des professionnels autonomes, requiert un style de leadership spécifique, passant du "command and control" au "connect and collaborate".

  • Le dirigeant comme manager-coach : Le rôle du dirigeant évolue. Il n'est plus le seul référent technique, mais celui qui orchestre les talents, fixe un cap, et donne les moyens à son équipe de réussir. Il doit créer les conditions de l'intelligence collective.
  • L'animation du collectif pédagogique : Il est vital de créer des rituels pour que les formateurs, souvent isolés dans leurs missions, puissent échanger et capitaliser sur leurs expériences. Cela peut prendre la forme de :
    • Réunions pédagogiques régulières.
    • Ateliers d'analyse des pratiques professionnelles.
    • Création d'une communauté de pratique sur un espace collaboratif.
  • Le pilotage par la qualité : Le management doit être ancré dans la démarche d'amélioration continue exigée par Qualiopi. Cela implique un suivi régulier des indicateurs de performance (taux de satisfaction, taux d'atteinte des objectifs, etc.) et l'organisation de retours d'expérience structurés après chaque session de formation.

Partie 4 : Le Développement Continu des Compétences : le Moteur de l'Excellence

Dans un secteur en perpétuelle mutation, la performance d'un organisme de formation est directement corrélée à sa capacité à maintenir et développer les compétences de son équipe.

4.1. Du plan de formation au plan de développement des compétences

La loi "Avenir professionnel" du 5 septembre 2018 a transformé le "plan de formation" en "plan de développement des compétences". Ce changement sémantique reflète une ambition plus large : il ne s'agit plus seulement de "former" les formateurs, mais de piloter le développement de leur professionnalisme sur le long terme. Ce plan doit intégrer diverses modalités :

  • Formations certifiantes pour les formateurs eux-mêmes (ex: titres professionnels de "Formateur Professionnel d'Adultes").
  • Veille pédagogique, technologique et réglementaire organisée et partagée.
  • Accompagnement à la VAE (Validation des Acquis de l'Expérience) ou au bilan de compétences pour les formateurs souhaitant faire évoluer leur carrière.

4.2. Intégrer les innovations pédagogiques

L'organisme doit être un lieu d'expérimentation et d'innovation pédagogique. Le management doit encourager et accompagner les formateurs dans l'appropriation de nouvelles approches :

  • L'Action de Formation en Situation de Travail (AFEST) : Elle nécessite des compétences spécifiques de la part du formateur, qui devient un accompagnateur et un organisateur de la réflexivité de l'apprenant (Décret n° 2018-1341 du 28 décembre 2018).
  • L'hybridation des parcours (Blended Learning) : Combiner efficacement des temps présentiels, des modules e-learning, des classes virtuelles et du tutorat à distance requiert une véritable ingénierie pédagogique multimodale.
  • Les neurosciences cognitives appliquées à l'apprentissage : Encourager les formateurs à se former sur le fonctionnement du cerveau pour optimiser leurs stratégies pédagogiques (gestion de la charge cognitive, techniques de mémorisation, etc.).

Le sociologue des organisations Chris Argyris (1977) a montré, avec Donald Schön, l'importance de l'apprentissage en double boucle ("double-loop learning"), où les professionnels ne se contentent pas de corriger leurs erreurs mais questionnent les cadres de référence et les normes qui sous-tendent leurs actions. Animer un collectif de formateurs, c'est créer les conditions de cet apprentissage organisationnel permanent.

Conclusion : Un investissement stratégique pour une performance durable

La constitution et la gestion d'une équipe de formateurs performante est bien plus qu'une simple fonction de ressources humaines. C'est le cœur du réacteur de tout organisme de formation. Cette démarche exige une vision stratégique pour définir les besoins, une rigueur méthodologique pour recruter les bons profils, un management éclairé pour animer le collectif et un engagement constant pour développer les compétences.

Passer du statut de formateur solo à celui de dirigeant d'un collectif d'experts est un projet de transformation qui conditionne la capacité de l'organisme à croître, à innover et à maintenir un niveau de qualité irréprochable, conforme aux attentes des apprenants, des entreprises et des régulateurs. La structuration de ces processus, facilitée par des outils de gestion adaptés, est la clé pour transformer une collection de talents individuels en une véritable force pédagogique collective, garante de la valeur et de la pérennité de l'organisme de formation.


Bibliographie

  • Argyris, C., & Schön, D. (1977). Organizational learning: A theory of action perspective. Addison-Wesley.
  • Carré, P. (2005). L'apprenance : vers un nouveau rapport au savoir. Dunod.
  • Cour de cassation, Chambre sociale, du 13 novembre 1996, 94-13.187, Publié au bulletin. Consulté sur Légifrance.
  • Décret n° 2018-1341 du 28 décembre 2018 relatif aux actions de formation et aux bilans de compétences. Consulté sur Légifrance.
  • France Compétences. (Site officiel). Consulté pour les informations relatives au RNCP et au Répertoire Spécifique. https://www.francecompetences.fr
  • Knowles, M. S. (1980). The modern practice of adult education: From pedagogy to andragogy. Cambridge Book Co. (Édition originale. Traduction française : L'adulte apprenant : vers un nouveau modèle de formation, Éditions d'Organisation).
  • Kolb, D. A. (1984). Experiential learning: Experience as the source of learning and development. Prentice-Hall.
  • Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Consulté sur Légifrance.
  • Ministère du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion. (2023). Guide de lecture du Référentiel National Qualité. Version 8. Consulté sur le site du Ministère du Travail.

Prêt à optimiser votre gestion ?

Découvrez comment Argalis peut transformer votre quotidien et libérer du temps pour ce qui compte vraiment.