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Gérer les imprévus et les crises : résilience pour formateurs et organismes de formation

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Introduction : Formation professionnelle et imprévus, un contexte en mutation

Le secteur de la formation professionnelle en France traverse une période d’évolution rapide, marquée par des imprévus majeurs et des changements structurels profonds. Qu’il s’agisse de crises sanitaires comme la pandémie de Covid-19, de mutations économiques, de réformes législatives ou de transitions numériques, les organismes de formation (OF) et les formateurs doivent sans cesse s’adapter pour maintenir le cap de leur activité. La crise sanitaire de 2020, par exemple, a brutalement interrompu les formations en présentiel : « La formation professionnelle a été un secteur également touché par les mesures de restrictions sanitaires, les offreurs en ayant pâti dès le départ en tant que lieux accueillant des publics » 1 . Au-delà des crises conjoncturelles, le marché de la formation subit également des aléas du marché tels que l’évolution des besoins en compétences des entreprises, la transformation des modalités pédagogiques (digital learning, AFEST, etc.) et les nouvelles exigences de qualité (certification Qualiopi, etc.). Face à ces incertitudes, la notion de résilience est devenue centrale : il s’agit pour les professionnels de la formation de développer la capacité à absorber les chocs, à s’adapter en cours de route et à rebondir plus forts après l’adversité 2 .

Dans cet article, nous examinerons d’abord les problèmes et imprévus principaux rencontrés par les formateurs et OF ces dernières années, avant de proposer des solutions stratégiques pour renforcer leur résilience. Enfin, nous passerons en revue les outils à mobiliser – qu’ils soient pédagogiques, organisationnels ou règlementaires – permettant de préparer son organisme de formation aux aléas et de maintenir le cap de son activité en toutes circonstances. L’objectif est d’offrir un panorama fouillé, étayé par des sources officielles et scientifiques de référence, afin d’aider les dirigeants d’OF et formateurs indépendants à naviguer dans un environnement complexe tout en optimisant la qualité de leurs formations.

Problématiques rencontrées : imprévus et crises dans la formation professionnelle

Pour comprendre comment bâtir la résilience, il faut d’abord cerner les imprévus et crises typiques auxquels sont confrontés les acteurs de la formation professionnelle. Ces problématiques peuvent être regroupées en plusieurs catégories : crises sanitaires et économiques, réformes légales et exigences de qualité, évolutions technologiques et pédagogiques, et fluctuations des besoins en compétences sur le marché du travail.

Crises sanitaires et économiques : un choc pour le secteur de la formation

La pandémie de Covid-19 a constitué un cas d’école d’événement imprévisible ayant profondément bouleversé le secteur de la formation. Dès le printemps 2020, les organismes de formation ont dû fermer leurs salles de cours et annuler ou reporter des sessions en présentiel. Les formateurs indépendants ont vu leur activité chuter brutalement. Une enquête conduite fin 2020 par le Céreq a mis en lumière l’ampleur de ce choc : « La crise sanitaire a eu un retentissement de grande ampleur dans tous les domaines de l’économie dès début 2020 […] La formation professionnelle a été un secteur également touché […] Face à cette conjoncture inédite, de quelle façon les agents […] de la formation y ont-ils fait face ? » 1 . Les premiers effets constatés furent une mise à l’arrêt massive des formations, la mise au chômage partiel des formateurs salariés dans de nombreux organismes, et la suspension des plans de développement des compétences dans les entreprises clientes 3 . Prioritairement soucieuses de survie économique, la plupart des entreprises ont gelé ou réduit leurs budgets formation en 2020 : la majorité des 20 grandes entreprises interrogées par le Céreq ont annulé leur plan de formation 2020 et très peu mobilisé les dispositifs publics d’aide comme le FNE-Formation ou le CPF 3 4 .

Cependant, cette même enquête révèle aussi des disparités selon la taille et la situation des organismes de formation. Certaines grandes entreprises disposant de leur propre organisme de formation interne ont mieux résisté au choc, grâce à la diversification de leurs activités et à la mutualisation des ressources avec la maison-mère 5 . Les formateurs salariés de ces organismes intégrés ont parfois été reclassés temporairement sur des postes opérationnels, préservant ainsi leur emploi pendant la crise 6 . De plus, la crise a servi de catalyseur à des évolutions déjà latentes : « Comme pour d’autres organismes, la crise sanitaire a eu pour effet d’accélérer la digitalisation de leurs formations » 7 . En somme, la crise Covid-19 a constitué un stress-test grandeur nature pour le monde de la formation, révélant tant ses vulnérabilités (dépendance aux formations présentielles, fragilité financière des indépendants) que des pistes de transformation (numérisation, nouvelles modalités pédagogiques).

Outre les pandémies, d’autres crises économiques peuvent affecter la demande de formation : récession, hausse du chômage et réduction des budgets alloués à la formation continue. Dans ces périodes, les organismes de formation sont mis en concurrence accrue pour un volume moindre de financements. Les formateurs indépendants peuvent souffrir d’une baisse de clientèle, notamment si les entreprises privilégient des formations obligatoires ou reportent les formations non essentielles. Par exemple, lors de la crise de 2008, de nombreuses entreprises avaient diminué leurs dépenses de formation, et il avait fallu plusieurs années pour retrouver le niveau antérieur. Ainsi, chaque crise économique pose la question de la capacité des OF à tenir bon financièrement, à adapter leur offre (vers des formations plus axées sur les compétences immédiatement utiles, sur la reconversion professionnelle, etc.) et à exploiter les aides disponibles.

Réformes légales et exigences de qualité : un paysage réglementaire en évolution

Au-delà des chocs conjoncturels, les acteurs de la formation ont dû naviguer dans un cadre législatif en mutation rapide au cours des dernières années en France. La loi “Avenir professionnel” du 5 septembre 2018 a profondément remanié le système de la formation professionnelle : création de France Compétences, désintermédiation du financement via le compte personnel de formation (CPF) crédité en euros, rôle accru des Opérateurs de compétences (OPCO), et reconnaissance de nouvelles modalités comme l’AFEST (Action de Formation en Situation de Travail). Si ces réformes visaient à dynamiser le secteur, elles ont aussi représenté des défis d’adaptation majeurs pour les OF et formateurs.

L’une des transformations les plus impactantes a été la mise en place de la certification Qualiopi. À compter du 1er janvier 2022, « la certification Qualiopi est obligatoire pour tous les organismes prestataires d’actions concourant au développement des compétences qui souhaitent bénéficier des fonds des financeurs publics ou mutualisés » (État, Régions, Pôle emploi/France Travail, OPCO, CPF, etc.) 8 . Autrement dit, un organisme de formation non certifié Qualiopi ne peut plus faire financer ses formations par les fonds publics ou mutualisés, ce qui l’exclurait de fait d’une grande partie du marché subventionné. Cette exigence a obligé des milliers d’OF – y compris de petits cabinets de formation et des formateurs indépendants – à se conformer à un référentiel national qualité strict, comportant 7 critères et 32 indicateurs couvrant des aspects tels que l’information du public, la conception adaptée aux publics, la compétence des formateurs, l’amélioration continue, etc. 9 10 . Obtenir la certification a nécessité un important travail d’ingénierie de la qualité (formalisation des processus, preuves, audits) qui, s’il a pu être vécu initialement comme une contrainte, tend à professionnaliser l’offre et à renforcer la confiance des clients dans les organismes certifiés. Néanmoins, le déploiement de Qualiopi a représenté un imprévu de taille pour de nombreux acteurs habitués à moins de formalisme : certains ont dû reporter leur activité en attendant la certification, d’autres ont renoncé à solliciter des financements publics, etc.

Parallèlement, d’autres évolutions réglementaires sont venues remodeler l’écosystème : la restructuration de l’apprentissage (avec la fin du quota de la taxe d’apprentissage allouée aux CFA et l’ouverture du marché), le renforcement de la lutte contre la fraude au CPF, l’émergence de nouvelles obligations (accessibilité handicap, protection des données personnelles des apprenants, etc.). Chaque nouveauté légale requiert des ajustements rapides de la part des OF : mise à jour des référentiels internes, formation du personnel aux nouvelles procédures, voire adaptation de l’offre de formation pour se conformer aux dispositifs. Par exemple, l’intégration de l’AFEST dans le Code du travail via la loi de 2018 a ouvert un nouveau champ de pratiques : « En définissant dans le Code du travail les conditions d’élaboration et de mise en œuvre d’un parcours de formation à partir d’une situation de travail, la réforme de 2018 a ouvert un nouveau champ de pratiques de formation dans les entreprises. L’AFEST apparaît dès lors comme la solution adaptée pour des entreprises confrontées à un besoin en compétences que l’offre de formation classique ou le marché du travail ne sont pas en mesure de proposer » 11 . Ainsi, les organismes de formation ont dû intégrer cette approche innovante, potentiellement déstabilisante pour des formateurs habitués au présentiel classique, mais riche d’opportunités pour répondre aux besoins concrets des entreprises.

Évolutions technologiques et pédagogiques : le défi de la transformation digitale

Un autre type d’« imprévu », plus progressif mais tout aussi structurant, est la transformation numérique et ses impacts sur les modalités pédagogiques (pédagogie et andragogie). L’essor des technologies éducatives (e-learning, plateformes LMS, classes virtuelles, outils auteur, etc.) a progressivement modifié les attentes des apprenants et la manière de concevoir et délivrer des formations. Si cette évolution était en cours depuis plus d’une décennie, la crise du Covid-19 en a été un puissant accélérateur : « Pour former leurs effectifs pendant la crise sanitaire, les entreprises ont […] mobilisé davantage les formations à distance. Ainsi, 50 % des entreprises formatrices ont eu recours à des cours ou stages en ligne en 2020, contre seulement 16 % en 2015 » 12 . En l’espace de cinq ans, la proportion d’entreprises utilisant le digital learning a donc plus que triplé. Et parmi celles qui avaient déjà recours à la formation en ligne avant 2020, les deux tiers ont accru la part de collaborateurs formés à distance durant la pandémie 13 . Cette généralisation de la formation à distance a pris de court de nombreux organismes de formation traditionnels, peu équipés en outils numériques ou dont les formateurs n’étaient pas toujours formés aux méthodes d’animation en visioconférence. Du jour au lendemain, il a fallu convertir des contenus présentiels en modules e-learning, maîtriser des plateformes numériques, maintenir l’engagement des apprenants à distance, etc. Les organismes qui avaient anticipé ce virage digital ou investi précocement dans des solutions de digital learning ont pu limiter la casse, tandis que les autres ont subi une perte d’activité temporaire et ont dû apprendre en marchant.

Au-delà de la technologie elle-même, c’est toute la pédagogie qui se voit transformée par ces évolutions. Les approches pédagogiques actives, centrées sur l’apprenant, gagnent du terrain dans la formation des adultes. Ici intervient la notion d’andragogie, popularisée par Malcolm Knowles, qui désigne l’art et la science de faire apprendre les adultes par opposition à la pédagogie destinée aux enfants 14 . Knowles a posé six principes clés de l’apprentissage adulte : (1) le besoin de comprendre le pourquoi de chaque apprentissage, (2) l’importance de l’expérience antérieure comme base de nouveaux apprentissages (y compris l’erreur), (3) la nécessité pour l’adulte d’être impliqué dans les décisions concernant sa formation (auto-direction), (4) l’utilité immédiate des connaissances acquises, (5) une approche orientée vers la résolution de problèmes concrets plutôt que la théorie abstraite, et (6) la prépondérance d’une motivation intrinsèque plutôt que contrainte 15 . Ces principes d’andragogie invitent les formateurs et concepteurs de formation (les ingénieurs pédagogiques) à repenser leurs méthodes. En pratique, cela signifie donner du sens aux parcours (clarifier les objectifs opérationnels), individualiser et adapter les formations aux profils des apprenants, favoriser les activités expérientielles et collaboratives, et soutenir la motivation tout au long du processus.

David Kolb, théoricien de l’apprentissage expérientiel, offre un cadre utile pour comprendre comment les adultes apprennent par la pratique. Son modèle en quatre phases – expérience concrète, observation réfléchie, conceptualisation abstraite, expérimentation active – illustre le cycle par lequel un individu tire enseignement de ses expériences pour développer de nouvelles compétences. Ce modèle est devenu un pilier de l’ingénierie pédagogique moderne. Comme le résume un article spécialisé : « Créé en 1984 par David Kolb, le cycle d’apprentissage expérientiel constitue encore aujourd’hui un des modèles phares d’ingénierie pédagogique pour la création de formations interactives. […] Grâce à l’analyse des expériences vécues, à la réflexion critique et aux expérimentations volontaires, on consolide durablement ses connaissances et compétences » 16 . Autrement dit, l’apprenant adulte est placé au cœur du processus d’acquisition du savoir. Cette vision s’applique autant aux formateurs eux-mêmes qu’aux stagiaires : une crise ou un imprévu peut être analysé comme une « expérience concrète » dont il convient de tirer des leçons (phase d’observation et de conceptualisation) pour ajuster ses pratiques (phase d’expérimentation de nouvelles solutions). L’apprentissage par l’expérience est ainsi une source de résilience adaptative. Comme le rappelle une ressource universitaire, « l’expérience directe est au cœur des apprentissages et nous apprenons mieux en faisant et en réfléchissant sur nos expériences » (Kolb, 1984) 17 .

En résumé de cette section, les formateurs et organismes de formation font face à de multiples défis imprévus : arrêt brutal des activités en cas de crise sanitaire, coupes budgétaires en période de récession, complexité administrative liée aux réformes, nécessité de s’aligner sur des référentiels qualité exigeants, et remise en question des méthodes pédagogiques traditionnelles par la vague du numérique et des nouvelles attentes des apprenants adultes. Ces problèmes peuvent sembler décourageants, mais chacun recèle en creux l’opportunité d’évoluer, d’innover et de renforcer la robustesse de son organisation. Dans la section suivante, nous explorerons justement les solutions possibles et stratégies à mettre en œuvre pour bâtir cette résilience.

Solutions possibles : stratégies de résilience pour formateurs et OF

Face aux imprévus décrits précédemment, comment les formateurs indépendants et dirigeants d’organismes de formation peuvent-ils non seulement survivre, mais rebondir et faire évoluer positivement leur activité ? La résilience dans le domaine de la formation professionnelle suppose une combinaison de flexibilité, d’anticipation et d’apprentissage organisationnel. Nous présentons ci-dessous plusieurs axes stratégiques de solution, articulés autour de l’adaptabilité pédagogique, de l’innovation et du développement des compétences, de la gestion proactive de la qualité, et de l’importance du réseau et du soutien externe.

Adaptabilité pédagogique et agilité de l’ingénierie de formation

La première clé de résilience est la capacité d’adaptation sur le plan pédagogique. Les organismes de formation résilients sont ceux qui peuvent rapidement ajuster leurs modalités d’intervention, leurs contenus et leurs méthodes lorsque le contexte change. Concrètement, cela implique :

  • Digitalisation et modularisation de l’offre : Comme on l’a vu, la formation à distance n’est plus un accessoire mais un indispensable. Il convient donc de développer une offre blended learning (mix présentiel/distanciel) robuste, avec des modules e-learning de qualité, des classes virtuelles dynamiques, des tutoriels vidéos, etc. Cette diversification permet de continuer à former même en cas de confinement ou de restrictions de déplacements. Elle offre aussi une plus grande flexibilité aux apprenants (formation asynchrone, mobile learning), améliorant la satisfaction client. Les investissements dans des plateformes numériques sécurisées, dans la formation des formateurs aux outils digitaux et dans la conception de ressources pédagogiques interactives sont rapidement rentabilisés par la continuité d’activité qu’ils procurent en temps de crise. On a pu observer pendant la pandémie que les entreprises accompagnées sur le plan de la digitalisation de la formation ont mieux maintenu leur effort formatif : en 2020, 35 % des entreprises de ≥10 salariés ont été accompagnées par des organismes externes (OPCO, branches, etc.) pour mobiliser des dispositifs d’aide à la formation, et ces entreprises accompagnées ont formé une proportion de salariés plus importante que les non-accompagnées (48 % vs 39 %) 18 19 . Cela souligne l’importance de se faire conseiller pour adapter ses pratiques, y compris pour un organisme de formation : s’ouvrir à des partenariats ou du conseil externe en ingénierie pédagogique peut grandement aider à monter en compétence sur le digital learning.
  • Approches pédagogiques centrées apprenant : Repenser ses dispositifs en intégrant les principes de l’andragogie favorise l’engagement et donc la réussite même dans des contextes incertains. Par exemple, impliquer davantage les apprenants adultes dans la co-construction du parcours (objectifs personnalisés, choix de modules en fonction de leurs besoins) renforce leur motivation intrinsèque. Dans une situation de crise où chacun est bousculé (angoisse, surcharge, etc.), l’adulte sera d’autant plus disposé à suivre une formation si celle-ci correspond précisément à un besoin qu’il ressent. Comme l’écrivait Bertrand Schwartz (pionnier de la formation des adultes), un adulte n’accepte de se former que si la formation répond à ses besoins tels qu’il les perçoit lui-même, sans quoi on passe « à côté » des conditions propices à l’apprentissage 20 21 . Ainsi, les organismes de formation devraient renforcer en amont l’analyse des besoins réels des apprenants et personnaliser les parcours en conséquence (pédagogie différenciée, offres modulaires, etc.). De même, privilégier des pédagogies actives (mises en situation, études de cas, résolution de problèmes, projets collaboratifs) rend la formation plus concrète et utile à court terme, conformément aux principes de Knowles 15 . Ce type de pédagogie active a l’avantage de mieux résister aux aléas : un apprenant qui fait et expérimente retient davantage qu’un apprenant passif, et pourra continuer à progresser même s’il doit interrompre temporairement la formation, car il aura déjà acquis des savoir-faire réutilisables.
  • Innovation continue et expérimentation : La résilience implique d’être disposé à tester de nouvelles approches. Par exemple, intégrer progressivement l’AFEST dans son catalogue de solutions de formation permet de proposer aux entreprises une réponse agile à des besoins urgents en compétence. Si un client industriel ne peut envoyer ses salariés en centre de formation à cause d’une crise, l’AFEST (formation sur le poste de travail avec un protocole pédagogique) peut être une alternative pour continuer à développer des compétences directement sur le terrain. On a vu que l’AFEST est perçue comme particulièrement adaptée pour répondre à des besoins spécifiques non couverts par l’offre classique 11 22 . De même, l’apprentissage social en ligne (communautés de pratique d’apprenants sur un forum interne, mentorat à distance entre pairs) est une innovation pédagogique qui peut renforcer la résilience : même en cas d’isolement, les apprenants continuent d’apprendre entre eux. Les formateurs et OF ont tout intérêt à explorer ces nouvelles voies, éventuellement via des projets pilotes, afin d’élargir leur palette méthodologique. En outre, cultiver en interne un esprit d’amélioration continue de l’ingénierie pédagogique – par exemple via des réunions de partage d’expériences entre formateurs, de la veille sur les EdTech, la participation à des conférences (type eLearning Expo, Université d’Hiver de la Formation Professionnelle) – permet de rester à la pointe et donc de réagir plus vite quand un changement s’impose.

En somme, l’agilité pédagogique consiste à concevoir rapidement des solutions alternatives lorsque les scénarios prévus deviennent caducs. C’est la capacité, par exemple, d’un organisme de formation à transformer en une semaine une session présentielle annulée en une classe virtuelle enrichie de modules e-learning et d’ateliers collaboratifs à distance. C’est aussi, pour un formateur freelance, la possibilité de convertir son contenu en webinaire monétisable afin de toucher directement les apprenants via le CPF. Cette adaptabilité exige un investissement initial (en temps de conception, en formation aux outils), mais elle est un rempart indispensable contre l’imprévu.

Investir dans les compétences : formateurs formés, apprenants outillés

Le deuxième pilier de la résilience est l’investissement dans le développement des compétences, tant en interne (les compétences des formateurs eux-mêmes) qu’en externe (celles proposées aux clients apprenants). La formation professionnelle est un domaine où l’on prône l’apprentissage continu – ceci doit s’appliquer aussi aux formateurs et aux organismes.

Formation des formateurs : Un organisme de formation ne peut être résilient que si ses équipes de formateurs et concepteurs pédagogiques possèdent les compétences adéquates pour faire face aux changements. Cela implique un effort constant de professionnalisation et de formation continue du personnel formateur. Par exemple, former les équipes aux outils numériques (conduire une classe virtuelle de manière interactive, créer un module e-learning avec un outil auteur, utiliser un LMS pour suivre l’avancement des apprenants, maîtriser les réseaux sociaux pour animer une communauté d’apprenants) est aujourd’hui incontournable. De même, développer les compétences en ingénierie pédagogique – par exemple savoir appliquer le cycle de Kolb, construire une évaluation des acquis pertinente, individualiser les parcours – améliore la qualité et l’impact des formations, ce qui renforce la satisfaction des clients même en temps difficile. Un formateur bien formé saura mieux gérer une session perturbée (par exemple, il pourra s’appuyer sur des techniques d’animation variées en cas de difficulté technique) et rebondir après un échec en analysant ce qui n’a pas fonctionné. Il est donc recommandé que les OF encouragent leurs formateurs à obtenir des certifications professionnelles (par exemple le TP “Concepteur–designer pédagogique”, des diplômes universitaires en ingénierie de formation, etc.), à participer à des formations de formateurs ou des webinaires métier. Cela peut s’inscrire dans le plan de développement des compétences de l’OF lui-même ou être financé via des dispositifs comme le CPF du formateur. Un formateur autonome dans son développement professionnel aura plus de facilité à s’auto-former en cas de besoin urgent (par exemple apprendre rapidement à utiliser Zoom ou Teams lorsque le présentiel n’est plus possible).

Élargir et actualiser l’offre de compétences : Côté contenu de formation, la résilience implique de coller au plus près des compétences émergentes demandées sur le marché du travail, afin de rester pertinent. Les organismes doivent faire de la veille sur les besoins en compétences de leurs secteurs cibles (via les observatoires de branches, les études de France Compétences, etc.) pour anticiper les évolutions. Par exemple, on constate en 2023-2025 une forte poussée des besoins en compétences numériques avancées, en soft skills (agilité, gestion du changement, collaboration à distance) et en compétences liées aux transitions écologique et énergétique. Proposer des formations sur ces thématiques portantes renforce la résilience économique de l’OF : en période de crise, les entreprises investissent volontiers dans des formations permettant de pivoter vers de nouveaux marchés ou de nouvelles façons de travailler. À titre d’exemple, l’OCDE préconise de développer des écosystèmes de formation tout au long de la vie englobant non seulement les compétences purement techniques, mais aussi des aptitudes élargies (ex : maîtrise de l’anglais, littératie informationnelle face aux infox, etc.) pour renforcer la capacité d’adaptation des actifs 23 24 . Un organisme de formation qui élargit son offre à ces domaines stratégiques (langues, compétences informationnelles, compétences vertes, etc.) se positionne comme un acteur utile pendant les crises (où se former devient un moyen de rebondir professionnellement).

Par ailleurs, la polyvalence des formateurs peut être un atout : encourager les formateurs à développer plusieurs expertises thématiques ou méthodologiques permet à l’OF de redeployer plus facilement ses ressources en fonction de la demande. Par exemple, un formateur initialement spécialisé en présentiel sur la bureautique qui a appris aussi à animer du e-learning et à évaluer des bilans de compétences pourra intervenir sur différents dispositifs selon les opportunités (formation à distance en bureautique pour un grand compte, réalisation de bilans de compétences pour des individus en reconversion via le CPF, etc.). Cette polyvalence peut être soutenue par l’organisme via des formations internes ou du co-financement de formations externes.

Accompagner les apprenants dans leur résilience : Enfin, investir dans les compétences signifie aussi aider les bénéficiaires de la formation à être eux-mêmes résilients. Un formateur n’est pas seulement un transmetteur de savoir, il peut être un facilitateur qui donne aux apprenants les moyens de s’adapter. Philippe Carré évoque à ce propos le passage d’une culture de la « formation-transmission » à une culture de l’“apprenance”, où l’apprenant prend en main son apprentissage 25 26 . Cela suppose de stimuler chez l’apprenant le vouloir apprendre, le pouvoir apprendre et le savoir apprendre de façon autonome 27 . En période de crise, ces qualités sont précieuses : un individu capable d’auto-formation s’adaptera plus vite aux changements de son métier. Les OF peuvent intégrer dans leurs parcours des volets “apprendre à apprendre”, par exemple des ateliers sur la méthodologie de veille, la gestion du temps d’auto-formation, l’utilisation des MOOC, etc. De plus, proposer du coaching ou du mentorat post-formation peut renforcer l’impact et aider l’apprenant à mettre en pratique malgré les obstacles. Cette démarche s’inscrit pleinement dans une logique de service qualitatif et répond au critère Qualiopi sur le suivi post-formation et l’accompagnement dans l’environnement professionnel 28 . En aidant les apprenants à devenir eux-mêmes plus agiles et résilients, les organismes de formation créent un cercle vertueux : des apprenants satisfaits et adaptables valoriseront la formation et seront enclins à revenir ou à recommander l’organisme, assurant ainsi sa pérennité.

Gestion proactive de la qualité et de l’anticipation des risques

Une autre stratégie de résilience consiste à intégrer la gestion des imprévus dans le système de management de la qualité de l’organisme de formation. Plutôt que de subir les crises, le fait de les anticiper dans une certaine mesure et d’avoir préparé des plans de continuité contribue à amortir les chocs.

Qualité et certification : L’obtention de la certification Qualiopi ne doit pas être vue comme une simple obligation administrative, mais comme une opportunité de renforcer ses processus internes en vue d’être plus robuste. Le référentiel Qualiopi exige par exemple la mise en place d’une veille sur l’environnement professionnel (critère 6) et la prise en compte des retours et réclamations des parties prenantes (critère 7) 28 . En déployant ces pratiques, l’organisme améliore sa réactivité : la veille lui permet d’identifier en amont des signaux faibles (ex : une évolution réglementaire à venir, une nouvelle technologie impactant les métiers formés) et d’anticiper une réponse formation appropriée. De même, une écoute attentive des clients et apprenants (questionnaires, feedbacks, réclamations) peut faire remonter des problématiques naissantes (par exemple une insatisfaction sur un format de formation) et inciter à ajuster le tir avant que cela ne devienne critique. La qualité, c’est aussi formaliser des procédures de gestion de crise : par exemple, avoir une procédure écrite “Que faire en cas d’annulation forcée d’une session ?” avec des solutions de remplacement prêtes (plan de continuité pédagogique via le distanciel, communication aux clients, modalités de report ou de remboursement claires). Les organismes certifiés Qualiopi doivent également documenter l’amélioration continue : l’exploitation systématique des erreurs ou incidents (un formateur malade au dernier moment, un problème technique, etc.) lors de réunions qualité permettra de dégager des actions pour éviter que ça ne se reproduise ou minimiser l’impact (constituer un vivier de formateurs remplaçants, investir dans une deuxième connexion internet de secours, etc.). Ainsi, la démarche qualité contribue directement à la résilience opérationnelle.

Gestion prévisionnelle et scénarios : S’inspirant des méthodes de gestion des risques en entreprise, les organismes de formation gagneraient à réaliser une cartographie des risques de leur activité et à définir des plans d’actions correspondants. Par exemple, identifier les risques majeurs (crise sanitaire, perte d’un gros client, arrivée d’un concurrent low-cost, cyberattaque, panne de LMS, etc.) et évaluer leur probabilité/impact, puis prévoir pour chacun un plan de réponse : cela peut aller de la simple check-list (ex : pour une transition soudaine en télétravail, avoir une liste des outils et ressources à déployer) jusqu’au plan de secours complet (ex : en cas d’incendie du centre de formation, disposer d’une assurance adéquate et d’un accord avec un centre voisin pour relocaliser temporairement les sessions). Cet effort d’anticipation n’est pas du temps perdu, il peut sauver l’entreprise formatrice le jour venu. Les plus grandes structures pourraient même mener des exercices de simulation (par analogie aux plans de continuité d’activité - PCA - dans l’industrie) : simuler pendant une journée une formation 100 % à distance comme si le centre était fermé, afin de tester la robustesse de l’organisation numérique et l’aisance des formateurs, puis ajuster en conséquence.

Par ailleurs, la gestion prévisionnelle concerne aussi le suivi financier : une structure résiliente maintient un fond de trésorerie de sécurité pour tenir quelques mois sans recettes en cas de coup dur, et diversifie ses sources de revenus (formations inter/intra, prestations de conseil, financements publics, ventes de contenus en ligne, etc.) pour ne pas tout miser sur un seul marché. On peut parler ici de résilience économique : par exemple, de nombreux formateurs indépendants ont découvert avec la crise Covid l’importance d’avoir des réserves financières ou des activités alternatives (comme la création de contenus digitaux vendus en ligne) pour compenser la perte soudaine d’activité présentielle. Intégrer cette dimension financière dans la stratégie (économiser lors des années fastes, éviter la dépendance à un unique client représentant plus de X % du chiffre d’affaires, etc.) relève de la bonne gestion courante, mais prend tout son sens dans une optique de traversée de crise.

Enfin, la qualité et l’anticipation passent aussi par la communication transparente avec les clients et partenaires. Un organisme confronté à un imprévu aura tout intérêt à communiquer rapidement, à expliquer les mesures prises, et à proposer des solutions de rechange, plutôt que de subir passivement. Cette transparence renforce la confiance à long terme : un client pardonnera plus volontiers un aléa si le plan B proposé est sérieux et professionnel. Mieux, si l’OF a su démontrer sa capacité à gérer la crise sans tout arrêter (par exemple, conversion rapide en digital), il gagnera en crédibilité et en image de marque.

Soutien externe, mutualisation et intelligence collective

La résilience n’est pas à bâtir seul dans son coin : les formateurs et organismes de formation disposent d’un écosystème d’acteurs et de dispositifs qu’ils peuvent mobiliser pour surmonter les difficultés.

Réseaux professionnels et partage d’expériences : Il existe en France plusieurs associations et réseaux dédiés à la formation professionnelle (ex : Les Acteurs de la Compétence – ex-FFP, le Synofdes pour la formation dans l’économie sociale, le FFFOD pour la formation ouverte et à distance, des groupements régionaux, etc.). Adhérer à de tels réseaux permet de bénéficier d’informations en avant-première (sur les réformes, les appels à projets, etc.), d’échanger des bonnes pratiques entre pairs, voire de monter des projets communs. Pendant la crise sanitaire, ces réseaux ont joué un rôle crucial pour relayer les instructions gouvernementales, proposer des webinaires d’urgence sur la mise en place de classes virtuelles, ou négocier avec les pouvoirs publics des mesures de soutien au secteur. Un formateur indépendant peut aussi rejoindre des communautés en ligne (sur LinkedIn, Viaeduc, etc.) où se discutent les nouveaux outils, où se partagent des astuces pédagogiques. Rompre l’isolement professionnel contribue grandement à la résilience morale et technique : savoir que d’autres rencontrent les mêmes problèmes et trouver ensemble des solutions est rassurant et stimulant.

Dispositifs publics de soutien : Le secteur de la formation bénéficie de certains filets de sécurité en cas de coup dur, qu’il faut connaître et activer si besoin. Par exemple, durant la pandémie, le gouvernement a assoupli et renforcé le dispositif FNE-Formation, permettant aux entreprises de faire financer à 100 % des formations pour leurs salariés en chômage partiel. Plusieurs organismes de formation ont ainsi pu proposer aux entreprises d’utiliser ce levier pour continuer à former malgré la baisse d’activité. De même, les travailleurs indépendants de la formation ont pu bénéficier de fonds d’action sociale de l’AGEFICE ou du FIF-PL pour se former eux-mêmes pendant les périodes creuses. Plus structurellement, le CPF constitue un outil de résilience pour la demande de formation : on l’a constaté, « pendant la crise sanitaire, l’essor du compte personnel de formation (CPF) compense la baisse des entrées en formation des commanditaires historiques » 29 . En d’autres termes, alors que les financements classiques (entreprises, Pôle emploi) fléchissaient, de nombreux individus ont mobilisé leur CPF de leur propre initiative pour se former. En 2022, le CPF est ainsi devenu la première source de financement en nombre d’entrées en formation (32 % des stagiaires) 30 . Les organismes de formation auraient tort de négliger ce canal : être bien référencé sur l’application MonCompteFormation, proposer des formations éligibles CPF de qualité, et communiquer sur ce droit auprès de leurs prospects, peut permettre de capter une demande solvabilisée même quand le B2B est en berne. Par ailleurs, des dispositifs comme les Transitions Pro (ex-Fongecif) pour financer des reconversions, ou les appels à projets du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) piloté par l’État, sont autant d’opportunités pour diversifier ses activités en période de mutation (par exemple, monter un projet de formation innovante pour un nouveau public en difficulté d’insertion, financé par le PIC).

Mutualisation et partenariat : Une voie souvent empruntée en période difficile est de se regrouper ou de collaborer entre organismes. Plutôt que de tous développer en parallèle des solutions coûteuses, des OF peuvent mutualiser certaines ressources : par exemple, co-financer le développement d’une plate-forme e-learning commune, échanger des formateurs spécialisés quand l’un manque de ressources et l’autre a une baisse de charge, voire répondre conjointement à des appels d’offres pour consolider leurs chances. Les groupements d’employeurs de formateurs ou les sociétés de portage salarial peuvent aussi offrir des solutions souples pour mutualiser l’emploi de formateurs sur plusieurs structures. Cette logique d’écosystème est encouragée par l’OCDE qui invite à créer des “écosystèmes de formation continue” où acteurs publics, entreprises et organismes de formation collaborent pour adapter les compétences en continu 23 . À l’échelle micro, cela peut se traduire par des partenariats localisés : un OF peut s’allier avec un centre de bilan de compétences pour proposer à ses clients un service intégré (le bilan suivi de la formation), ou avec une entreprise EdTech pour tester une innovation (réalité virtuelle, adaptive learning…). Ces partenariats élargissent le champ d’action de l’OF et partagent les risques liés à l’innovation.

Enfin, la dimension humaine de la résilience est primordiale : prendre soin de ses équipes de formateurs, les impliquer dans les décisions, valoriser leurs efforts d’adaptation. Une équipe soudée et soutenue sera plus apte à affronter le stress d’une crise. De même, entretenir une relation de confiance avec les clients (entreprises ou apprenants individuels) en amont facilite les discussions en cas de coup dur : un client satisfait et fidélisé acceptera plus facilement un aménagement de la prestation plutôt que de rompre le contrat. La résilience, c’est aussi du relationnel : c’est transformer une difficulté en occasion de renforcer la relation (par exemple, en offrant une solution supplémentaire gracieuse pour compenser un désagrément).

Outils à mobiliser : dispositifs et ressources pour maintenir le cap

Après avoir abordé les approches stratégiques, penchons-nous sur les outils concrets que les formateurs et organismes de formation peuvent mobiliser pour gérer les imprévus et renforcer leur résilience. Il s’agit à la fois d’outils institutionnels (dispositifs réglementaires, financements) et d’outils méthodologiques et technologiques.

Dispositifs institutionnels et réglementaires

  • Compte Personnel de Formation (CPF) : Comme souligné précédemment, le CPF est devenu un levier incontournable. Pour un organisme de formation, être présent sur la plateforme CPF avec des formations attractives permet de toucher un large public d’actifs souhaitant se former, y compris en période de crise où les individus cherchent à sécuriser leur parcours professionnel. Les OF doivent donc maîtriser le fonctionnement de cette plateforme (inscription de l’organisme sur Espace des Organismes de Formation, création des fiches formations détaillées, gestion des inscriptions et sessions via le portail). C’est un investissement administratif, mais la récompense est une visibilité nationale et un flux potentiel d’inscriptions directes. Par exemple, un formateur indépendant qui subit l’annulation de ses missions en entreprise peut rebondir en proposant son expertise en ligne via le CPF, attirant ainsi des apprenants individuels. De plus, le CPF peut financer non seulement des formations classiques mais aussi des bilans de compétences et des VAE – des prestations utiles en période d’incertitude où de nombreuses personnes repensent leur carrière. Rappelons-le, « L’objectif d’un bilan de compétences est d’analyser les compétences professionnelles et personnelles du salarié et de définir un projet professionnel et éventuellement de formation » 31 . Proposer ce type d’accompagnement (éligible CPF) peut élargir la palette de services d’un OF et répondre à la demande de reconversion ou d’évolution professionnelle.
  • Certification Qualiopi et référentiel qualité : Au-delà de l’obligation légale, Qualiopi doit être vu comme un outil. D’une part, la certification elle-même est un label de confiance qui peut rassurer les clients en période trouble sur le sérieux de l’organisme (gage de qualité et de conformité). D’autre part, le référentiel national qualité fournit un cadre structurant pour l’organisation interne. Les 7 critères Qualiopi couvrent toutes les étapes de l’action de formation, depuis l’information du public jusqu’à l’évaluation et l’amélioration continue 9 10 . S’y conformer peut aider l’organisme à ne rien laisser au hasard. Par exemple, le critère sur la qualification et le développement des compétences du personnel formateur (critère 5) incite à planifier la formation continue des formateurs – ce que nous avons identifié comme un facteur de résilience. Le critère 6 sur l’environnement professionnel encourage l’OF à s’insérer dans son écosystème – ce qui rejoint la notion de partenariats évoquée plus haut. Ainsi, le guide de lecture Qualiopi peut servir de véritable boîte à outils managériale pour le responsable de l’OF, avec des idées d’indicateurs de performance, de méthodes d’audit interne, etc. L’outil Qualiopi permet en quelque sorte de “bétonner” les fondations de l’organisme, de sorte qu’en cas de tempête, la structure tient bon.
  • AFEST (Action de formation en situation de travail) : Insérée dans le Code du travail en 2018, l’AFEST est désormais un outil légal à part entière, avec des conditions précises de mise en œuvre (analyse préalable de l’activité de travail, désignation d’un formateur/tuteur, phases réflexives, évaluation des acquis). Les pouvoirs publics encouragent son déploiement, et certaines branches professionnelles financent des projets AFEST pour développer les compétences des salariés directement sur le poste de travail. Pour un organisme de formation, maîtriser l’ingénierie AFEST ouvre de nouvelles opportunités : accompagner des entreprises, notamment des PME, qui ont des besoins opérationnels urgents. Par exemple, en cas de pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans un métier pointu, l’entreprise peut, avec l’aide d’un organisme de formation, organiser en interne une montée en compétence accélérée de ses salariés via l’AFEST plutôt que d’attendre une formation externe classique. L’OF intervient alors en appui pour structurer le parcours et outiller les tuteurs. Cet outil se prête bien aux périodes où le temps manque pour envoyer les gens en formation externe, ou quand il faut former sur des savoir-faire très contextualisés que l’offre sur étagère ne couvre pas. L’AFEST a ainsi été mise en avant comme une réponse adaptée pour des besoins de compétences non satisfaits par le marché 11 32 . Les OF devraient donc l’avoir dans leur mallette, d’autant que les financeurs (OPCO, Transition Pro) acceptent de plus en plus de prendre en charge des AFEST.
  • Plan de développement des compétences et Pro-A : Si la conjoncture le permet, inciter les entreprises clientes à maintenir leur effort de formation via le plan de développement des compétences (ex-plan de formation) est crucial. Le formateur peut jouer un rôle de conseil pour adapter le plan en période de crise (ex : réduire la durée des formations, les concentrer sur des compétences essentielles, utiliser l’alternance ou la Pro-A – reconversion ou promotion par alternance – pour former en situation de travail partiellement). Ces dispositifs sont financés par les OPCO pour les PME, il faut donc rappeler aux entreprises qu’elles cotisent et ont droit à ces financements même en temps difficile. Un organisme proactif peut proposer à ses clients un audit de leurs besoins en compétences post-crise et les aider à monter des dossiers de financement.
  • Aides à la transition professionnelle : En cas de plans sociaux ou de chômage technique massif, les organismes peuvent se positionner sur les dispositifs de transition : les Transitions Collectives (financement de reconversions pour les salariés dont l’emploi est menacé), les formations conventionnées par Pôle emploi pour les demandeurs d’emploi, etc. Là encore, il s’agit d’avoir une veille sur ces appels d’air et de s’y engouffrer pour proposer ses offres.

Outils numériques et technologiques

  • Learning Management System (LMS) : Disposer d’un bon LMS est un atout pour piloter à distance l’activité de formation. En temps normal, le LMS sert à diffuser des modules e-learning, suivre les résultats, stocker des ressources. En temps de crise, il devient la colonne vertébrale qui maintient le lien avec les apprenants : diffusion rapide d’informations (calendrier, changements), possibilité de basculer tout un programme en ligne, suivi de qui a pu continuer sa formation ou non. Un LMS moderne permet de mixer synchrone et asynchrone, de garder des traces et d’automatiser des tâches (relances, quizz d’évaluation) ce qui soulage le formateur en situation tendue. Il existe des solutions SaaS adaptées aux organismes de formation, modulaires, qui ne nécessitent pas de grosses infrastructures. L’important est de s’être équipé avant que le besoin ne devienne vital : ceux qui ont dû implémenter un LMS dans la panique en mars 2020 ont souffert, tandis que ceux qui en avaient un ont simplement intensifié son utilisation.
  • Outils de visioconférence et classe virtuelle : Indispensables pour assurer la continuité pédagogique en mode synchrone. Il convient d’en maîtriser au moins un ou deux (Zoom, Teams, Webex, etc.) et d’exploiter toutes les fonctionnalités pédagogiques (partage d’écran, sondages, sous-groupes de discussion…). Au-delà de l’outil en soi, élaborer des formats de classe virtuelle optimisés (sessions plus courtes qu’en présentiel, interactivité accrue toutes les 5-10 minutes, support technique disponible) améliore l’acceptation par les apprenants et l’efficacité.
  • Bibliothèques de contenus et ressources en ligne : Un organisme résilient a su capitaliser sur ses contenus. Plutôt que de tout réinventer sous stress, il peut piocher dans une banque de ressources existante (vidéos enregistrées, fiches mémo, exercices auto-correctifs, etc.) pour construire rapidement un parcours alternatif. Ainsi, constituer progressivement un répertoire numérique des contenus de formation (tout en respectant le droit d’auteur et la propriété intellectuelle) est un investissement judicieux. Certains OF développent même des cours en ligne ouverts (type MOOC) qu’ils peuvent activer en cas de besoin ou proposer en « freemium » pour garder le contact avec leur audience durant les périodes creuses.
  • Outils de gestion et pilotage : La résilience passe aussi par la bonne gestion quotidienne. Des logiciels SaaS spécialisés pour organismes de formation (gestion administrative des inscriptions, planning, suivi des présences, génération d’attestations, reporting Qualiopi) permettent de gagner du temps et de fiabiliser les processus. En contexte de crise, l’automatisation de ces tâches allège la charge mentale et évite des erreurs. Par exemple, un outil de gestion pouvant envoyer automatiquement les émargements électroniques aux stagiaires à distance garantit la traçabilité même si on ne peut pas faire signer de feuille papier. De plus, un tableau de bord regroupant les indicateurs (taux de participation, satisfaction, etc.) permet au dirigeant de piloter avec sang-froid et d’identifier vite les points critiques (chute des inscriptions sur une offre donnée, etc.). Bref, numériser son back-office renforce la capacité à absorber les perturbations.
  • Sécurité des données et plans numériques : Il ne faut pas négliger l’aspect cybersécurité et robustesse technique. En effet, un organisme ultra-digitalisé devient dépendant de ses systèmes d’information : un crash de serveur ou une attaque ransomware pourrait être aussi dévastateur qu’une crise externe. Investir dans des sauvegardes, antivirus, formation du personnel à la sécurité (phishing, RGPD) fait partie de la résilience. De même, prévoir des solutions de secours (ex : avoir les contenus clés également en local ou sur un cloud tiers, pouvoir accéder aux emails via webmail en cas de panne du VPN, etc.) garantit qu’on ne sera pas totalement paralysé par un incident technique.

Ressources humaines et organisationnelles

Enfin, les outils ne sont efficaces que si l’organisation humaine suit. Quelques recommandations pour finir :

  • Tableaux de compétences et polyvalence : Maintenir à jour un matrice des compétences des formateurs et personnels de l’OF aide à identifier rapidement qui peut remplacer qui, qui peut assurer telle mission en cas d’absence imprévue. Cela rejoint l’idée de former les formateurs à plusieurs sujets, mais aussi d’avoir sous la main un réseau d’intervenants vacataires qualifiés sur lesquels s’appuyer en renfort ou remplacement. Un organisme bien organisé aura déjà des contrats-cadres ou des ententes avec des formateurs externes, pour pouvoir les activer rapidement.
  • Communication de crise : Préparer des modèles de communications (emails types, messages sur le site web) pour informer stagiaires et clients en cas de perturbation, montre le professionnalisme de l’organisme. Par exemple, un message rassurant indiquant que “Suite à [événement], nous transformons la formation X en classe virtuelle à telle date, voici les instructions…” fera bien meilleure impression qu’une annulation sèche. La relation client est un outil en soi : l’écoute, l’empathie et la capacité à trouver des solutions personnalisées pour le client (replanifier selon ses contraintes, offrir une extension de durée d’accès aux ressources, etc.) renforcent la confiance.
  • Bien-être et motivation : Un formateur stressé ou épuisé ne pourra pas bien transmettre ni innover. Prendre soin de la qualité de vie au travail (même en télétravail), offrir du soutien psychologique si nécessaire, ou adapter la charge de travail en période tendue (éviter de surcharger en développement de contenus au dernier moment) sont des pratiques managériales qui outillent l’équipe pour tenir le coup. La résilience est aussi psychologique : valoriser les efforts, célébrer les petites victoires (par ex. le succès d’une première classe virtuelle), encourage la poursuite de l’adaptation.

En mobilisant ce vaste ensemble d’outils – des financements publics aux logiciels SaaS en passant par les méthodes pédagogiques éprouvées – les formateurs et organismes de formation se donnent toutes les chances de maintenir leur activité à flot quelles que soient les circonstances. La prochaine crise ou imprévu sera alors, sinon prévisible, du moins gérable avec méthode, sang-froid et créativité.

Conclusion : Vers une culture de la résilience dans la formation professionnelle

Les imprévus et crises, qu’ils soient externes (pandémie, changements de marché, réformes) ou internes (départ d’un formateur clé, incident technique), font désormais partie du quotidien des organismes de formation et des formateurs. Plutôt que de les considérer comme des anomalies exceptionnelles, il convient de les intégrer dans la réflexion stratégique et opérationnelle. Développer la résilience de son organisation, c’est inscrire la capacité d’adaptation au cœur même de son fonctionnement.

Les enseignements tirés de la période récente en France sont édifiants. Ils montrent que les acteurs de la formation capables d’apprendre en permanence, tant au niveau individuel qu’organisationnel, ont mieux traversé les turbulences. Jack Mezirow, évoquant l’apprentissage des adultes, aurait sans doute parlé de transformation : « un processus continu par lequel les individus, à travers la réflexion critique et l’intégration de nouvelles informations et expériences, questionnent et transforment fondamentalement leur compréhension du monde et d’eux-mêmes » 33 . Cette idée d’apprentissage transformationnel s’applique bien aux organismes de formation : une crise peut être l’occasion de remettre en question ses modes de fonctionnement, d’adopter de nouvelles perspectives (par exemple passer d’une “culture de la formation” centrée sur l’offre à une “culture de l’apprenance” centrée sur l’apprenant, selon Philippe Carré 34 ) et in fine de sortir renforcé de l’épreuve.

La résilience n’est pas qu’une métaphore ; c’est une réalité mesurable. Un système de formation résilient absorbe le choc sans s’effondrer (robustesse), s’adapte en cours de route en modifiant ses pratiques (flexibilité), puis tire les leçons pour anticiper l’avenir (apprentissage). Comme le formule l’OCDE, il s’agit de « la capacité à absorber un choc et à rebondir en mieux, plus fort, en grandissant à partir de l’adversité » 2 35 . Les formateurs et dirigeants d’OF ont entre les mains la possibilité de construire cette résilience, en agissant sur les multiples leviers que nous avons passés en revue : innovation pédagogique, développement des compétences, qualité, anticipation et partenariats.

Si le défi principal n’est pas que cet article soit lu intégralement, il aura au moins atteint son but s’il contribue à diffuser quelques mots-clés stratégiques et bonnes pratiques au sein de la communauté des professionnels de la formation. Pédagogie, andragogie, ingénierie pédagogique, AFEST, digital learning, compétences, CPF, référentiel, Qualiopi, bilan de compétences… autant de termes qui, pris isolément, relèvent du jargon du secteur, mais qui, pris ensemble, dessinent les contours d’une formation professionnelle moderne, sérieuse et approfondie, armée pour affronter les aléas du monde du travail. C’est cette image de sérieux et de profondeur que veut incarner Argalis en tant qu’éditeur de solutions pour la formation, et c’est collectivement que nous pourrons faire de la formation un pilier de la résilience des individus et des organisations.

En conclusion, se préparer aux aléas du marché et maintenir le cap de son activité de formation n’est pas une utopie : c’est un processus rigoureux, nécessitant réflexion stratégique et actions concrètes, mais qui garantit à long terme la pérennité et le succès de la mission fondamentale des formateurs et organismes de formation : développer les compétences tout au long de la vie, quelles que soient les circonstances.


Bibliographie : sources officielles et scientifiques utilisées

  • DARES/Céreq (2021). L’impact de la crise sanitaire sur les entreprises et leurs organismes de formation – Résultats d’une enquête fin 2020. Rapport d’étude n°014, 6 octobre 2021. 1 3 .
  • Centre Inffo (2024). La formation professionnelle des personnes en recherche d’emploi de 2019 à 2022 : une hausse des entrées en formation portée par le CPF. Actualité du 28/11/2024 dans Ressources documentaires de la formation, Centre Inffo. 29 .
  • Ministère du Travail (2024). Référentiel national qualité – Guide de lecture Qualiopi. Fiche du Ministère du Travail, mise à jour 08/01/2024. 8 9 .
  • Centre Inffo (2022). AFEST : les initiatives prises et les conditions à réunir pour développer sa mise en œuvre. Dossier documentaire, 22 mars 2022. 11 .
  • Céreq (2022). Comment les entreprises ont-elles formé en 2020 ? – Analyse des pratiques de formation durant la crise sanitaire, d’après l’enquête Defis. Céreq Bref n°414, février 2022. 12 18 .
  • Wikipedia (2023). Jack Mezirow. Page Wikipedia francophone, dernière modification le 5/01/2023. 33 .
  • Wikipedia (2023). Andragogie. Page Wikipedia francophone, dernière modification le 21/07/2023. 15 .
  • Frétigné, C. (2021). Compte-rendu de : Carré, P. (2020). « Pourquoi et comment les adultes apprennent. De la formation à l’apprenance ». Revue Recherche et Formation, n°97, 2021, pp. 140-142. 20 27 .
  • Lukas, J. (2024). Cycle de Kolb : la théorie de l’apprentissage. Article du blog Lemon Learning, 23 octobre 2024. 16 .
  • HEC Montréal (2025). L’apprentissage expérientiel – Le cycle de l’apprentissage expérientiel de Kolb. Direction de l’apprentissage et de l’innovation pédagogique, article publié en 2025. 17 .
  • Service-Public.fr (2025). Bilan de compétences d’un salarié du secteur privé. Fiche pratique, Vérifiée le 23 janvier 2025 par la DINIC (Premier ministre). 31 .
  • AEF Info (2023). Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2023. Dépêche AEF n°702135, 6 novembre 2023 (extrait accessible en ligne). 23 .

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