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La Gamification en formation : engager vos apprenants et maximiser la rétention

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Introduction

La formation professionnelle en France est un secteur en pleine évolution, où l'engagement des apprenants et l'efficacité des apprentissages sont devenus des enjeux majeurs. Chaque année, près de la moitié des adultes en France suivent au moins une formation, qu'elle soit à visée professionnelle ou personnelle 1. En 2022, par exemple, 47 % des 18-69 ans avaient participé à une action de formation au cours des 12 derniers mois (57 % parmi ceux en emploi) 1. Dans ce contexte, garantir l'assiduité, la motivation et la rétention des connaissances est crucial pour les organismes de formation. C'est ici qu'intervient la notion de gamification (ou ludification), une approche pédagogique innovante consistant à intégrer des mécanismes de jeu dans des environnements non ludiques, notamment les parcours de formation. Son but ? Rendre l'apprentissage plus interactif, engageant et mémorable, en exploitant la prédisposition humaine au jeu et le pouvoir de la récompense 2.

Phénomène à l'origine popularisé dans le marketing et les applications grand public, la gamification s'impose désormais comme un levier stratégique en pédagogie et en ingénierie de formation. Elle trouve un écho particulier dans la formation des adultes (andragogie), où elle répond au besoin d'expérimentation active, de retour d'information immédiat et de sens pratique. Des plates-formes de digital learning intègrent des fonctionnalités ludiques (quiz interactifs, badges de compétence, classements), tandis qu'en présentiel les formateurs animent des ateliers gamifiés (jeux de rôles, simulations, défis d'équipe). L'essor du Compte Personnel de Formation (CPF) – avec 1,33 million de formations suivies en 2023 3 – a intensifié la concurrence entre offreurs de formation, incitant ces derniers à innover pour attirer et satisfaire des apprenants désormais libres de choisir leurs parcours. Proposer des expériences de formation ludiques et immersives peut ainsi constituer un avantage décisif pour accroître l'engagement des bénéficiaires (un critère central du référentiel Qualiopi) et prévenir les abandons, comme l'exige l'indicateur 12 de la certification Qualiopi 4.

En adoptant un ton institutionnel et en mobilisant des sources officielles et scientifiques de premier plan, cet article propose une analyse exhaustive de la gamification appliquée à la formation professionnelle. Nous définirons d'abord ce concept et ses mécanismes clés, avant d'examiner comment il s'articule avec les grands principes de l'apprentissage des adultes (p. ex. l'andragogie de Knowles, le cycle expérientiel de Kolb, l'apprenance selon Carré). Nous passerons ensuite en revue les bénéfices concrets de la gamification en termes de motivation, de participation active, de montée en compétences et de rétention des savoirs, à la lumière des études et méta-analyses disponibles. Seront également abordées les modalités d'intégration de ces approches ludiques dans l'ingénierie pédagogique – que ce soit en formation présentielle (salles de cours, ateliers) ou en digital learning (e-learning, MOOCs, classes virtuelles) – ainsi que des exemples concrets de dispositifs gamifiés. Nous n'éluderons pas pour autant les limites et défis de la gamification (risques d'effet gadget, différenciation des profils d'apprenants, conditions de succès à respecter). Enfin, nous ouvrirons sur les perspectives d'avenir (gamification adaptative, RV/RA, intelligence artificielle, etc.) qui laissent entrevoir de nouvelles opportunités pour rendre les formations professionnelles toujours plus interactives et efficaces.

L'objectif est d'offrir aux dirigeants d'organismes de formation et aux formateurs indépendants un contenu fouillé, rigoureux et utile, tout en renforçant le référencement du site sur des mots-clés stratégiques liés à la formation professionnelle (pédagogie, andragogie, ingénierie pédagogique, AFEST, digital learning, compétences, CPF, Qualiopi, bilan de compétences, etc.). Bonne lecture dans cet univers où l'on apprend en jouant – un univers qui, loin d'être anecdotique, s'appuie sur des bases scientifiques solides et répond aux exigences de qualité et d'innovation du secteur de la formation.

Qu'est-ce que la gamification en formation ? Définitions et mécanismes clés

Gamification et ludification désignent l'idée d'utiliser des éléments du jeu dans un contexte non ludique, en l'occurrence ici celui de la formation des adultes. De manière claire, il s'agit de transposer dans le déroulement d'une formation des mécaniques propres aux jeux (systèmes de points, badges, niveaux, défis, récompenses, classements, narration, etc.) dans le but d'augmenter l'engagement et la motivation des apprenants 2, 5. Comme le résume la définition proposée par Werbach et Hunter (2012) (souvent citée dans la littérature anglophone), la gamification revient à "l'utilisation de game design dans des contextes qui ne sont pas des jeux" – par exemple intégrer un système de points et de défis dans un module de formation en bureautique.

Il convient de distinguer la gamification d'autres concepts voisins : notamment le serious game (ou jeu sérieux) et le game-based learning. Un serious game est un véritable jeu développé spécifiquement pour atteindre un objectif pédagogique : par exemple, un jeu vidéo de simulation pour former des managers à la conduite d'entretien annuel. Le game-based learning désigne plus largement toute situation d'apprentissage basée sur un jeu (par exemple utiliser un jeu de société éducatif en classe). La gamification, quant à elle, ne crée pas forcément un jeu complet, mais emprunte certains "mécanismes ludiques" pour les injecter dans une formation classique. C'est une démarche de conception pédagogique consistant à « ludifier » un dispositif existant. Par exemple, transformer un quiz de révision en y ajoutant un chronomètre, un score et un classement des participants est une forme de gamification. De même, instaurer un système de badges et de récompenses pour valider des compétences dans un parcours e-learning, ou proposer une narration immersive (scénario, personnages, quêtes) tout au long d'un cursus de formation, relèvent de la gamification.

Comment ça marche ? La gamification mise sur plusieurs leviers psychologiques bien identifiés : la motivation par le défi, l'envie de se dépasser et de s'améliorer, le plaisir de jouer, la recherche de reconnaissance (statut conféré par les points ou badges), ainsi que le sentiment de progression. Concrètement, on retrouve fréquemment un système de points qui récompense les bonnes réponses ou les tâches accomplies, des badges ou niveaux symbolisant des paliers atteints, un classement permettant de se comparer aux autres (ce qui stimule généralement la participation, surtout chez un public à l'esprit compétitif), et des feedbacks immédiats sous forme de messages de félicitations, de sonorisations ludiques, etc. Par exemple, une formation en ligne sur la cybersécurité pourra attribuer des points à chaque module validé, décerner un badge « Défenseur » une fois tous les quiz réussis, et afficher un tableau des scores (anonymisé) pour encourager une saine émulation entre apprenants.

Il existe également des mécaniques avancées de gamification : intégration d'un scénario narratif (l'apprenant devient le héros d'une histoire et doit accomplir des quêtes formatives), utilisation de l'aléa et de la surprise (coffres mystères, quizz bonus), mise en place de défis de groupe pour encourager la coopération (par exemple un escape game pédagogique où toute la classe doit résoudre des énigmes ensemble), ou encore personnalisation de l'avatar permettant à l'apprenant de se projeter dans le jeu. L'experte Amy Jo Kim a résumé cinq caractéristiques essentielles d'une expérience gamifiée : collectionner (accumuler des objets, badges), gagner des points, bénéficier de rétroactions régulières (feedback loops), encourager les interactions sociales entre participants, et personnaliser l'expérience 6. On voit que la gamification ne se résume pas qu'à de simples artifices : c'est un système global, qui vise à créer un engagement actif et durable en formation.

Motivation extrinsèque et intrinsèque : Les mécanismes de jeu agissent à plusieurs niveaux sur la motivation. D'un côté, les points, récompenses et classements stimulent la motivation extrinsèque – c'est-à-dire la motivation alimentée par des facteurs externes (recherche de la récompense, de la reconnaissance sociale) 7. Ces techniques sont efficaces pour susciter rapidement l'adhésion et provoquer un pic d'engagement, mais leurs effets peuvent s'estomper sur le long terme si l'on s'en tient uniquement à une logique de récompense 7. D'un autre côté, une gamification bien pensée cherche à renforcer la motivation intrinsèque de l'apprenant – c'est-à-dire le plaisir et l'intérêt qu'il trouve dans l'activité de formation elle-même, indépendamment des récompenses externes. Pour cela, on va davantage mettre l'accent sur des éléments comme le sens du progrès personnel, le sentiment de maîtrise d'une compétence, le fait de relever des défis signifiants et de constater ses propres améliorations 8. Ces éléments renvoient à des besoins psychologiques profonds (autonomie, compétence, affiliation...) et permettent d'atteindre un engagement plus durable, car l'apprenant est acteur de son apprentissage et non simple collecteur de points. En pratique, cela signifie par exemple qu'au-delà des badges, on veillera à expliciter le lien entre les succès dans le jeu et les compétences réelles développées, on donnera des objectifs clairs et utiles (plutôt que des tâches arbitrairement ludiques), on favorisera l'auto-défi (battre son propre record, s'améliorer progressivement) autant que la compétition, et on encouragera la coopération et le partage entre apprenants pour répondre aussi au besoin de relations sociales positives.

En résumé, la gamification en formation représente "l'art d'orchestrer des environnements d'apprentissage qui font appel aux dynamiques du jeu pour mieux motiver les apprenants". Ce n'est pas une fin en soi, mais un moyen au service de la pédagogie. Bien utilisée, elle permet de redynamiser un contenu potentiellement aride, d'éveiller la curiosité, de transformer l'apprenant passif en un joueur actif dans son apprentissage. Toutefois, elle nécessite une véritable expertise en conception pédagogique (ingénierie pédagogique) pour être efficace : comme nous le verrons plus loin, une gamification mal adaptée peut aussi détourner l'attention ou frustrer certains publics. Avant d'aborder ces points, intéressons-nous aux fondements théoriques qui expliquent pourquoi et comment la gamification peut favoriser l'apprentissage, en mobilisant notamment les grands principes de la formation des adultes.

Fondements théoriques : pourquoi la gamification favorise l'apprentissage des adultes

La gamification n'est pas qu'une mode ludique : son efficacité trouve appui sur des théories éprouvées en sciences de l'éducation et en psychologie de l'apprentissage, en particulier dans le contexte de la formation des adultes (andragogie). Voici comment les mécanismes ludiques viennent s'aligner avec les besoins et caractéristiques des apprenants adultes, tels qu'étudiés par des experts comme Malcolm Knowles, David Kolb, Jack Mezirow ou Philippe Carré, entre autres.

  • Les principes andragogiques de Malcolm Knowles (1984) : Knowles a formulé une théorie de l'apprentissage des adultes reposant sur quelques idées-forces. Il postule que l'adulte apprenant est un individu autonome, qui a besoin de comprendre pourquoi il apprend quelque chose, et qui apprend mieux lorsqu'il peut utiliser son expérience antérieure, lorsque l'apprentissage est auto-dirigé, centré sur la résolution de problèmes concrets, et motivé par des facteurs intrinsèques (développement personnel, accomplissement) plus que par des injonctions externes. Or, la gamification bien conçue peut répondre point par point à ces principes. D'une part, elle donne du sens à la formation en la contextualisant dans un scénario : l'apprenant voit plus clairement pourquoi il doit réaliser telle tâche (par exemple, dans un jeu de simulation d'entreprise, il comprend que maîtriser un concept lui permettra de "gagner" dans le scénario, ce qui reflète la réussite dans la réalité professionnelle). D'autre part, elle encourage l'apprentissage actif et auto-dirigé : l'apprenant-joueur progresse à son rythme, fait des choix dans le jeu (décisions, parcours alternatifs), ce qui correspond à l'autonomie chère à Knowles. Par ailleurs, les mécanismes ludiques capitalisent souvent sur l'expérience de l'apprenant : ils peuvent intégrer des cas pratiques familiers, valoriser l'expertise acquise (p.ex. un formateur peut demander aux participants de partager leurs anecdotes qui seront ensuite "gamifiées" dans un quizz). Enfin, la gamification stimule fortement la motivation intrinsèque (plaisir de relever un défi, satisfaction personnelle à progresser), ce qui s'aligne sur l'idée que les adultes sont surtout motivés de l'intérieur. On peut donc dire, comme Knowles l'aurait sans doute formulé, qu'il s'agit d'"aider les adultes à apprendre en rendant l'apprentissage pertinent et gratifiant pour eux". En remplaçant une logique descendante de « transmission » par une logique de « facilitation » via le jeu, le formateur passe du rôle d'enseignant à celui de concepteur d'expériences (facilitateur), ce que préconise également Philippe Carré dans ses travaux 9.
  • L'apprentissage expérientiel selon David Kolb (1984) : David Kolb a modélisé le processus d'apprentissage comme un cycle en quatre phases – expérience concrète, observation réfléchie, conceptualisation abstraite, expérimentation active. Les adultes apprennent très bien en alternant la pratique et la réflexion sur cette pratique. La gamification, en particulier sous forme de serious games ou de simulations ludiques, s'inscrit parfaitement dans ce cycle expérientiel. En effet, elle plonge l'apprenant dans des situations concrètes (exemple : un jeu de rôle où il doit gérer un client mécontent, ou une simulation virtuelle reproduisant son poste de travail), ce qui correspond à la phase d'expérience réelle. Immédiatement après, le debriefing ou les feedbacks permettent l'observation réfléchie (« Qu'ai-je bien fait ? Qu'ai-je raté ? Comment ai-je décidé dans le jeu ? »). On peut ensuite fournir des apports théoriques ou des concepts (phase de conceptualisation) qui vont éclairer ce qui s'est passé dans le jeu, puis encourager l'apprenant à réessayer ou à transférer ces acquis dans le réel (expérimentation active). Ainsi, une séquence gamifiée bien construite fait vivre une expérience plutôt que de délivrer seulement un savoir abstrait, ce qui est beaucoup plus marquant et mémorisable pour un public adulte. Comme le dit un adage attribué à Confucius (et souvent cité en pédagogie) : “J'entends et j'oublie, je vois et je me souviens, je fais et je comprends.” La gamification permet précisément de faire, donc de comprendre en profondeur.
  • La théorie de l'apprentissage transformateur de Jack Mezirow (1991) : Mezirow a mis en avant l'importance, chez l'adulte, d'examiner et éventuellement de changer ses "schèmes de référence" (croyances, cadres d'interprétation) via un apprentissage réflexif, souvent déclenché par une expérience ou un dilemme. Certaines formes de gamification peuvent faciliter ce processus de transformation en confrontant l'apprenant à des situations inhabituelles, à des points de vue différents, dans un cadre ludique qui autorise l'essai-erreur sans conséquences négatives réelles. Par exemple, un jeu de rôle sérieux peut amener un manager à endosser le rôle d'un subordonné : cette inversion ludique de perspective peut provoquer une prise de conscience (empathie accrue, remise en cause de certaines pratiques managériales), qui, après analyse réflexive, mène à un changement d'attitude dans la réalité. De même, des simulateurs gamifiés permettant d'expérimenter les effets de certaines décisions (ex: simulation de gestion avec indicateurs) peuvent transformer la compréhension qu'a l'apprenant de concepts complexes. La dimension ludique aide ici à surmonter les résistances au changement : l'adulte ose plus facilement explorer de nouvelles approches lorsqu'il se sent en “jeu” (d'où une diminution de la peur de l'échec), ce qui peut le conduire à réviser ses schèmes après coup. En résumé, bien qu'indirectement, la gamification peut être un catalyseur de ces apprentissages transformateurs chers à Mezirow, en fournissant le déclic expérientiel dans un environnement sécurisé.
  • La motivation autodéterminée et l'"apprenance" selon Philippe Carré (2005-2020) : Philippe Carré, spécialiste français de la formation des adultes, a largement exploré la notion de motivation en formation et introduit le concept d'apprenance – défini comme un ensemble de dispositions favorables à l'acte d'apprendre, incluant le goût d'apprendre, la capacité à prendre en charge son propre apprentissage, etc. Selon Carré et d'autres, c'est la motivation autonome (intrinsèque) qui est le moteur principal d'un engagement durable en formation. Or, la recherche récente tend à montrer que la gamification, lorsqu'elle est bien pensée, peut précisément susciter cette motivation autonome et renforcer l'apprenance des individus. Une étude française publiée en 2024 par Mourad Bofala et Ahmed Benhoumane a mis en évidence un lien positif entre l'« expérience gamifiée » vécue par des salariés et leur niveau d'apprenance 10. Les auteurs expliquent que l'expérience ludifiée agit comme un levier efficace pour donner envie aux collaborateurs d'apprendre en continu, en créant un environnement engageant et stimulant 10. Surtout, ils montrent que cette apprenance accrue résulte d'une motivation autodéterminée (dite motivation autonome) chez l'apprenant 11. En clair, jouer pour apprendre redonne aux individus le contrôle et le plaisir d'apprendre, ce qui nourrit leur envie de se former au-delà même de l'activité gamifiée ponctuelle. Cette conclusion rejoint la perspective de Carré : pour développer la "culture de l'apprentissage" (apprenance) chez les adultes, il faut sortir de la formation contrainte et descendante, et aller vers des approches engageantes où l'apprenant est acteur. La gamification se présente comme un moyen concret d'y parvenir. Elle s'inscrit d'ailleurs dans le mouvement plus large d'innovation pédagogique où le formateur devient facilitateur, où l'on individualise les parcours, où l'on donne du feedback régulier – autant de choses que Carré et d'autres préconisent pour améliorer l'efficacité de la formation des adultes.
  • Cognition et engagement : On peut également mobiliser les apports des sciences cognitives et de la psychologie de la motivation. La théorie du Flow de Mihaly Csikszentmihalyi, par exemple, décrit cet état de concentration optimale, de plongée totale dans une activité à défis, qui est très propice à l'apprentissage. Les jeux sont experts pour induire cet état de flow (équilibre entre défi et compétence, objectifs clairs, feedback immédiat, immersion...). Une activité de formation gamifiée, si elle est bien calibrée en difficulté et en rythme, peut plonger l'apprenant dans un état de flow durant lequel il va fournir un effort cognitif intense presque sans s'en rendre compte – idéal pour la rétention des connaissances. Par ailleurs, les mécanismes de renforcement (conditionnement opérant) nous enseignent qu'un feedback immédiat sur une action renforce l'apprentissage de manière bien plus efficace qu'un retour différé. La gamification exploite cela en fournissant instantanément des indications de réussite ou d'erreur, ce qui permet aux apprenants de corriger le tir et d'ancrer les bonnes réponses (p. ex. un quiz en ligne qui indique tout de suite la bonne réponse et explique pourquoi). De même, les approches neuroscientifiques de l'attention soulignent l'importance de varier les stimuli, de surprendre, d'émouvoir l'apprenant pour soutenir son attention. Les éléments ludiques (histoires, challenges, récompenses visuelles) aident à atteindre cette attention soutenue, facteur clé de mémorisation. Enfin, mentionnons la théorie de l'auto-efficacité d'Albert Bandura : plus un apprenant se sent confiant dans sa capacité à réussir une tâche, plus il persévère. La gamification, par ses paliers progressifs et ses feedbacks positifs, contribue à bâtir ce sentiment d'auto-efficacité (un apprenant qui collectionne des succès dans le jeu aura davantage confiance pour affronter des problèmes réels similaires).

En synthèse, loin d'être un simple divertissement, la gamification s'appuie sur des fondations théoriques solides qui expliquent ses effets bénéfiques. En respectant les principes de l'andragogie (adulte autonome et en quête de sens), en fournissant une expérience concrète engageante (expérientiel de Kolb), en permettant des déclics réflexifs (Mezirow) et en nourrissant la motivation intrinsèque (Carré, Deci & Ryan), elle crée un environnement propice à l'apprentissage chez l'adulte. Cependant, il est essentiel de mesurer ces bénéfices de manière empirique. La section suivante passe en revue les avantages observés de la gamification en formation, tels que mis en évidence par la recherche et les retours d'expérience.

Les bénéfices de la gamification sur l'engagement et la rétention des apprentissages

Intégrer des mécanismes ludiques dans une formation ne vise pas simplement à "amuser la galerie" : c'est avant tout un moyen d'améliorer l'efficacité du processus d'apprentissage. Plusieurs études, enquêtes et expérimentations ont cherché à évaluer l'impact de la gamification sur des critères concrets tels que la motivation des apprenants, leur taux d'engagement (participation active, persévérance jusqu'au bout de la formation), leurs performances aux évaluations, ainsi que la rétention des connaissances à plus long terme. Les résultats, dans l'ensemble, sont très encourageants, même s'ils doivent être nuancés (nous verrons plus loin les limites).

Motivation et engagement accrus

Le premier bénéfice, immédiatement visible, est une hausse de la motivation et de l'implication des participants. Une formation gamifiée donne souvent envie de se prendre au jeu, de relever les défis proposés, là où une formation classique plus magistrale pourrait susciter moins d'enthousiasme. Par exemple, selon une enquête citée par Deloitte, 88 % des employés affirment se sentir plus engagés dans leur formation lorsqu'elle inclut des éléments de gamification (statistique souvent reprise dans la littérature professionnelle) 12.

Du côté de la recherche académique, une revue systématique de la littérature de 2023 portant sur les effets de la gamification dans le secteur de la formation professionnelle (éducation et formation professionnelles, EFP) a conclu que la gamification et le game-based learning améliorent l'engagement et la motivation des apprenants de façon significative 13. Les auteurs, Dahalan et al., ont analysé 17 études sur divers dispositifs gamifiés, et soulignent que dans la grande majorité des cas, les apprenants soumis à des parcours ludiques se montraient plus motivés à apprendre, plus enclins à participer activement et à s'immerger dans la matière enseignée 14. Ces gains d'engagement ont été relevés tant en milieu scolaire qu'en formation professionnelle (notamment dans des écoles d'ingénieurs, des programmes de santé, etc.), ce qui suggère que l'effet n'est pas limité à un public jeune scolaire mais s'étend bien aux adultes en formation.

Un élément intéressant ressort de l'étude de Bofala & Benhoumane (2024) mentionnée plus haut : ils ont constaté que l'expérience ludifiée augmentait la “motivation à apprendre” des collaborateurs, ce qui à son tour nourrit leur apprenance 10. En clair, non seulement la gamification engage sur le moment, mais elle peut aussi donner envie de continuer à se former par la suite. Cette motivation est en partie due au caractère plaisant et moins stressant de l'environnement de jeu : l'apprenant prend du plaisir à relever les défis, il est actif, ce qui crée une dynamique positive. On observe souvent lors de formations gamifiées une atmosphère plus participative, avec des échanges entre apprenants, des rires parfois, une saine compétition – autant de signes d'un engagement fort.

Par ailleurs, la gamification est efficace pour combattre un problème courant en formation d'adultes : la baisse d'attention et la démotivation au fil du temps. Là où une formation classique de plusieurs heures peut voir l'attention décliner, l'introduction de mini-jeux, de quiz, de challenges progressifs relance l'intérêt à intervalles réguliers. Chaque nouveau défi agit comme un "réveil attentionnel" et re-mobilise l'auditoire. On peut ainsi maintenir un haut niveau d'attention sur des durées plus longues. Cela contribue directement à réduire les risques d'abandon en cours de formation : l'indicateur 12 de Qualiopi sur "l'engagement des bénéficiaires" encourage d'ailleurs le recours à des outils favorisant l'interactivité et la participation des stagiaires 15, précisément pour prévenir le décrochage. Il n'est pas étonnant que de nombreux organismes, pour se conformer à cette exigence de qualité, misent sur la gamification comme dispositif concret pour favoriser l'engagement (par exemple via des plateformes pédagogiques ludiques, des contenus interactifs, etc. 15).

Meilleure acquisition des connaissances et des compétences

Apprendre plus et mieux, tel est in fine le but recherché. La gamification, en augmentant l'engagement cognitif de l'apprenant, débouche généralement sur une amélioration des performances d'apprentissage. Cela peut se mesurer par de meilleurs scores aux évaluations, une compréhension plus profonde, ou une capacité accrue à mobiliser les acquis en situation de travail.

Plusieurs études quantitatives se sont penchées sur ces effets. Une méta-analyse de référence menée par Sitzmann & Ely (2011) – citée dans la thèse de Fillon (2022) – a comparé systématiquement des groupes en formation traditionnelle et des groupes soumis à des dispositifs ludiques (jeux, simulations). Le constat est sans appel : les apprenants en condition "gamifiée" obtiennent de meilleurs résultats sur de nombreux indicateurs : un sentiment d'efficacité personnelle accru, une meilleure mémoire (tant la mémoire déclarative que la mémoire procédurale), et in fine une plus grande rétention des savoirs 16. Autrement dit, l'intégration de jeux ou de simulations a permis à ces apprenants de retenir davantage de connaissances sur le long terme par rapport à des apprenants n'ayant pas bénéficié de ces apports ludiques 16. Les écarts mesurés étaient statistiquement significatifs (avec des tailles d'effet modérées, par ex. d = 0,22 en faveur de la gamification pour la rétention, ce qui n'est pas négligeable en pédagogie 17).

Une autre méta-analyse citée (Vogel et al., 2006) montrait déjà que l'usage de jeux et de simulations en formation conduisait à des résultats cognitifs supérieurs comparé à l'instruction traditionnelle sur certains contenus 18. Il apparaît que les jeux offrent un contexte applicatif qui facilite la compréhension. En lieu et place d'un cours théorique magistral, le fait de manipuler des concepts dans un jeu (par exemple gérer virtuellement un budget pour comprendre la finance d'entreprise, ou reconstituer un puzzle pour apprendre un processus) rend les notions plus concrètes, accélère l'assimilation par le cerveau d'adulte qui aime relier les idées à l'expérience. Le jeu apporte aussi une répétition déguisée : l'apprenant peut refaire plusieurs fois un exercice ludique pour s'améliorer, là où il rechignerait à refaire plusieurs fois un exercice traditionnel. Cette répétition, couplée au feedback immédiat, renforce la mémorisation à long terme grâce à l'entraînement.

Au-delà de la connaissance pure, la gamification peut améliorer la maîtrise de compétences pratiques. Par exemple, une étude mexicaine de 2021 portant sur un cours universitaire de chimie, transformé par la gamification, a observé une augmentation de l'assiduité et des résultats aux tests chez les étudiants, ainsi qu'une amélioration de leurs attitudes face à la matière 19, 20. Les auteurs notent que l'ajout de défis ludiques a motivé les apprenants à participer activement (allant jusqu'à garder leur caméra allumée et être présents plus régulièrement en classe virtuelle) et qu'in fine leurs notes se sont améliorées par rapport à un enseignement classique 19.

Dans un contexte plus directement professionnel, on peut imaginer par exemple un programme de formation aux compétences managériales intégrant un simulateur de prises de décision avec feedback : un responsable confronté à divers scénarios dans le jeu, avec conséquences immédiates, pourra plus facilement acquérir des réflexes et des savoir-faire transférables que par une simple étude de cas sur papier. En ce sens, la gamification facilite le développement de compétences (hard skills comme soft skills) en plaçant l'apprenant dans une posture active où il pratique la compétence. De plus, le jeu offre souvent un environnement sans risque pour s'entraîner : l'erreur y est dédramatisée. Cette sécurisation encourage l'apprenant à essayer, à se tromper puis à corriger, ce qui est essentiel pour l'apprentissage. Il vaut mieux qu'un commercial s'exerce à répondre à un client difficile dans un serious game (quitte à “perdre” des points au début) plutôt que de faire ses premiers essais en situation réelle avec un client mécontent ! Ainsi, lorsqu'il se retrouvera en condition de travail réelle (AFEST – Action de Formation En Situation de Travail – dans le cas d'un apprentissage sur le tas), il aura déjà vécu virtuellement des situations analogues, augmentant sa confiance et son efficacité.

En termes de rétention des connaissances, la gamification semble également apporter un plus. Non seulement le taux de mémorisation immédiate est amélioré, mais plusieurs études suggèrent que les apprenants gamifiés retiennent mieux les informations sur la durée. Cela s'explique par une consolidation plus riche : l'information est stockée en mémoire associée à des émotions positives (le plaisir du jeu), à une expérience faite soi-même, et parfois à une mise en récit, autant de facteurs qui servent d'indices de rappel efficaces plus tard. Par exemple, un apprenant se souviendra plus facilement d'une règle de sécurité au travail si elle était présentée sous forme d'une étape dans un jeu (il aura l'image mentale du contexte du jeu au moment de la réactiver), plutôt que si la règle était simplement lue dans un manuel.

Confirmer scientifiquement la rétention à long terme est délicat, mais les premiers résultats sont prometteurs. Sanchez & Gomez (2019) signalent par exemple un effet positif de la gamification sur la motivation et l'amusement, ce qui, combiné à d'autres méta-analyses, laisse penser que les apprenants gamifiés développent un meilleur rappel des notions apprises, car ils y ont pris part de façon plus intense 21.

En résumé, sur le plan des acquis d'apprentissage, on peut retenir que la gamification tend à améliorer la performance (meilleures notes, meilleures réussites aux tests de compétence) et la mémorisation. Cela se traduit aussi par une montée en compétence plus efficace – les apprenants gamifiés atteignent plus rapidement les objectifs pédagogiques fixés et sont capables de mobiliser leurs connaissances en situation.

Impact sur l'assiduité et la complétion des parcours

Un bénéfice indirect mais très important de l'engagement ludique est la réduction des décrochages et l'augmentation des taux de complétion des formations, en particulier à distance. Dans le domaine des MOOC (cours en ligne massifs), connus pour leurs taux d'abandon souvent élevés, la gamification a été expérimentée pour inverser la tendance. Une revue de 2025 sur la gamification dans les MOOC note que ces approches visent justement à surmonter les défis des faibles taux de complétion, du manque d'engagement et du sentiment d'isolement des apprenants en ligne 22. En introduisant des récompenses, des systèmes de niveaux, ou des mécanismes adaptatifs tenant compte du profil de l'apprenant, on a pu observer une plus grande persévérance des participants. De façon générale, les formations professionnelles continues, qu'elles soient en salle ou en ligne, bénéficient de la gamification par un absentéisme moindre et une participation régulière. Les stagiaires viennent en session avec plus d'entrain (certains formateurs constatent que depuis qu'ils ont instauré un challenge ludique fil rouge, les retards ont diminué car les apprenants ne veulent pas "rater le début du jeu").

Dans un cadre réglementaire, cela rejoint l'exigence de qualité : un organisme certifié Qualiopi doit prouver qu'il déploie des moyens pour garder ses apprenants engagés jusqu'au bout 4. Offrir une expérience de formation attractive et interactive – ce que permet la gamification – est clairement un de ces moyens. On peut évoquer l'exemple d'organismes utilisant des plates-formes en ligne ludiques où l'apprenant voit visuellement sa progression (barre de progression, niveaux débloqués) : ce retour visuel encourage à aller au terme du parcours. De plus, l'apprenant ressent une forme d'accomplissement à finir le "jeu" de formation, là où il pourrait se désintéresser d'une suite de modules plus austères. Même en présentiel, l'ajout d'une dimension ludique (par exemple un système de points d'assiduité ou un challenge d'équipe jusqu'à la fin du programme) peut inciter les stagiaires à rester investis sur la durée.

En synthèse, la gamification se révèle bénéfique à la fois pour les apprenants (qui y gagnent en motivation, en plaisir d'apprendre, en compétences acquises durablement) et pour les organismes de formation (qui constatent de meilleurs taux de réussite, des apprenants plus satisfaits et plus assidus, gages de qualité). Ces avantages expliquent l'engouement croissant du secteur pour ces méthodes. Une étude Deloitte/AMA montrait même que les entreprises ayant recours à la gamification constataient une amélioration de leurs indicateurs de performance en formation et de rétention des savoirs de leurs employés (réduction de 36% du temps de formation nécessaire pour atteindre un même objectif, dans un cas cité) 12.

Il convient toutefois de rester mesuré : la gamification n'est pas une potion magique universelle. Certaines expériences ont donné des résultats mitigés, voire négatifs, lorsqu'elle était mal implémentée. Pour en tirer pleinement parti, il faut maîtriser son intégration dans la pédagogie. C'est ce que nous aborderons dans la section sur les pratiques de conception. Avant cela, attardons-nous sur un volet essentiel : la gamification au service du développement des compétences et son articulation avec les référentiels et démarches qualité en formation professionnelle.

Gamification et développement des compétences

Dans l'univers de la formation professionnelle, le concept central est celui de compétence. Toute action de formation vise, explicitement ou implicitement, à développer chez l'apprenant des compétences – qu'elles soient techniques (hard skills) ou relationnelles (soft skills) – identifiées dans un référentiel métier ou un référentiel de certification. Une question clé est donc : en quoi la gamification peut-elle contribuer à l'acquisition effective de ces compétences ?

Alignement avec les référentiels de compétences

Concevoir une formation gamifiée n'implique pas de sacrifier le sérieux des objectifs. Au contraire, une bonne gamification commence par une définition claire des compétences visées et une traduction de celles-ci en objectifs ludiques. Par exemple, un référentiel de formation en management peut exiger la compétence "mener un entretien annuel d'évaluation". Pour adresser ce point, on peut créer un scénario de jeu de rôle où l'apprenant incarne un manager devant conduire un entretien avec un collaborateur virtuel (incarné par un formateur ou une IA). Le jeu comportera des points clés à aborder (communication, écoute, annonce des objectifs...), correspondant aux critères du référentiel. À la fin, un feedback détaillé permet de mesurer si la compétence est acquise ou à renforcer. Ainsi, la gamification sert de mise en pratique contextualisée du référentiel, rendant plus concrets des items parfois abstraits. D'ailleurs, certains outils d'évaluation innovants commencent à intégrer des épreuves gamifiées dans les bilans de compétences ou les certifications : par exemple, des tests sous forme de quizz scénarisés pour évaluer les compétences numériques, ou des serious games évaluatifs (où chaque action de l'apprenant dans le jeu est tracée et analysée par rapport à un référentiel de compétences). Cela peut donner un bilan de compétences plus dynamique et personnalisé, tout en maintenant une base méthodologique solide.

Développer les soft skills par le jeu

Les compétences comportementales (communication, travail d'équipe, résolution de problèmes, leadership...) sont souvent plus difficiles à travailler via des approches classiques théoriques. La gamification offre ici un terrain fertile : en plaçant les apprenants dans des défis collaboratifs ou des simulations de conflit, on peut observer et faire progresser leurs soft skills. Par exemple, un escape game pédagogique en présentiel oblige une équipe d'apprenants à coopérer sous contrainte de temps pour résoudre des énigmes : on y voit à l'œuvre la communication, la gestion du stress, la répartition des rôles, etc. Un débriefing permet ensuite de faire prendre conscience de ces mécanismes et de relier l'expérience à des compétences transférables en milieu professionnel (travailler en équipe, penser de manière critique sous pression, etc.). De même, un jeu sérieux numérique sur la cyber-sécurité peut développer la compétence “esprit critique face à l'information" en confrontant le joueur à des emails piégés qu'il doit identifier – compétence très concrète qui se construit mieux dans l'interaction que dans un cours magistral.

Monter en compétences plus rapidement

Une formation ludifiée étant plus engageante, les apprenants y consacrent souvent plus de temps volontairement (par exemple, ils referont un cas pratique en jeu pour améliorer leur score, là où ils n'auraient pas refait un exercice une deuxième fois). Ce temps de pratique supplémentaire, conjugué à la richesse du feedback, peut conduire à une courbe d'apprentissage accélérée. Certains organismes signalent que des contenus qui demandaient habituellement 2 jours de formation présentielle peuvent être couverts en 1,5 jour via des activités gamifiées, sans perte de qualité, car l'attention des apprenants est soutenue plus longtemps et ils assimilent plus vite. Un indicateur de compétence atteint dans le jeu correspond concrètement à un indicateur atteint dans la réalité, si la conception a été bien alignée. Par exemple, dans le cadre d'une formation qualifiante, la réalisation avec succès d'un scénario gamifié complexe pourrait être directement utilisée comme preuve d'évaluation de la compétence, tant la situation de jeu a été calquée sur la situation réelle.

Motivation vis-à-vis des parcours certifiants

De plus en plus de formations professionnelles sont certifiantes (inscrites au RNCP ou éligibles au CPF, nécessitant de passer une certification officielle). La préparation à ces certifications peut tirer profit de la gamification pour maintenir la motivation sur des périodes longues. On voit émerger des applications mobiles ludiques où l'apprenant s'entraîne un peu chaque jour à répondre à des questions du référentiel examen, gagne des points et voit sa progression. Ce micro-learning gamifié est particulièrement efficace pour les compétences requérant de la pratique régulière (langues, code de la route, normes techniques, etc.). Au lieu de se décourager face à un gros volume de matière, l'apprenant aborde son parcours comme un jeu à niveaux : chaque niveau correspond à un module de compétences maîtrisé, avec des récompenses intermédiaires. Cela découpe l'apprentissage en étapes gratifiantes, et au final il est mieux préparé pour l'évaluation formelle.

Cas du bilan de compétences

Même des dispositifs habituellement plus réflexifs comme le bilan de compétences peuvent incorporer du ludique. Par exemple, certains cabinets proposent des serious games d'orientation où le bénéficiaire, à travers une aventure interactive, découvre ses intérêts et aptitudes. Loin de remplacer l'accompagnement personnalisé, ces outils gamifiés servent d'amorce pour aider la personne à s'auto-évaluer de manière décomplexée. Le jeu peut révéler des traits de personnalité ou des préférences (par ex, le joueur qui excelle dans un mini-jeu de négociation pourrait se découvrir un talent pour la vente) qui seront ensuite discutés avec le conseiller. Ainsi, la gamification, même dans un bilan, peut engager le bénéficiaire et le placer en position active dans son projet, tout en fournissant des données sur ses compétences de façon ludique.

En somme, la gamification, quand elle est adossée à un référentiel de compétences clair, devient un outil d'ingénierie pédagogique puissant pour développer et évaluer ces compétences. Elle assure la continuité entre les objectifs pédagogiques (compétences à acquérir), les méthodes mises en œuvre (jeux, défis) et les résultats constatés (compétences effectivement acquises et transférables). C'est un moyen de faire converger le plaisir d'apprendre et la rigueur des attendus professionnels. N'oublions pas que la finalité reste le développement de compétences opérationnelles : la "couche" ludique doit être au service de cet objectif, ce qui suppose une conception réfléchie. C'est ce que nous allons voir dans la section suivante consacrée à l'intégration pratique de la gamification dans la conception de dispositifs de formation.

Intégrer la gamification dans l'ingénierie pédagogique

Passer de l'intention à la réalité – c'est-à-dire gamifier un parcours de formation – nécessite une véritable démarche d'ingénierie pédagogique. Il ne s'agit pas d'ajouter quelques gadgets ludiques au hasard, mais bien de concevoir une expérience complète, en équilibre entre objectifs pédagogiques et mécaniques de jeu. Voici les principales recommandations et bonnes pratiques issues de l'expérience terrain et de la littérature pour réussir cette intégration.

Exemple d'infographie synthétisant les bonnes pratiques de la gamification en formation : scénarisation soignée, feedbacks fréquents, mécanique de récompense équilibrée, etc. (Source : Sciado, 2018) 23, 24

Concevoir avec une intention pédagogique claire

Avant toute chose, il faut définir ce qu'on veut accomplir par la gamification. Quelle problématique souhaite-t-on résoudre (ennui des apprenants ? difficulté d'assimilation ? manque de pratique ?), quels objectifs d'apprentissage vise-t-on, et comment le jeu va-t-il servir ces objectifs ? Autrement dit, la gamification doit être au service de la pédagogie, pas l'inverse 25, 26. Par exemple, si l'objectif est de maîtriser un processus technique complexe jugé rébarbatif, l'intention de la gamification pourrait être "rendre ce processus plus attrayant en le transformant en défi" et "permettre aux apprenants de s'entraîner plusieurs fois sans lassitude". Cette intention guidera ensuite le choix des mécanismes ludiques appropriés (on pourrait, dans ce cas, imaginer un jeu de plateau numérique où chaque étape du processus correspond à une case ou un niveau à franchir). Documenter cette intention dans le plan de formation est utile : cela permet de garder le fil conducteur et de pouvoir expliquer (aux financeurs, certificateurs, etc.) la raison d'être des éléments ludiques introduits.

Aligner jeu et contenu : scénarisation et storytelling

Une bonne scénarisation est souvent la clé d'une gamification efficace. Il s'agit de créer un fil rouge ludique qui épouse le contenu. Par exemple, au lieu d'une succession de modules indépendants, on va les lier par une histoire : “Vous êtes un consultant chargé de redresser une entreprise ; pour y parvenir, vous devrez réussir 5 missions (qui correspondent aux 5 modules de la formation)". Ce storytelling donne du sens aux activités : l'apprenant n'apprend pas "pour rien", il apprend pour accomplir quelque chose dans le récit. Cela renforce l'immersion et la motivation. La narration doit rester simple mais engageante : inutile d'écrire un roman, quelques phrases d'introduction et de transition, un contexte, des personnages éventuellement, suffisent à planter le décor. Attention cependant à ne pas surcharger en fiction au détriment du contenu : la ligne narrative doit servir de support, mais le temps passé sur l'histoire ne doit pas empiéter exagérément sur le temps d'apprentissage réel. Un équilibre est à trouver entre l'aspect ludique et le sérieux : par exemple, si on gamifie une formation en règlementation RGPD, un storyline humoristique avec des personnages type agents secrets peut rendre le sujet plus léger, mais il faut veiller à ce que les messages clés légaux ne se perdent pas dans la farce.

Choisir les mécaniques ludiques adaptées

Toutes les mécaniques de jeu ne conviennent pas à tous les contextes. Il faut sélectionner judicieusement en fonction du public et des objectifs. Pour un public de managers expérimentés, la compétition individuelle à outrance (classements, scores visibles) pourrait être mal perçue, alors qu'un challenge collectif (atteindre ensemble un certain score pour "gagner") peut mieux fonctionner, car il colle aux valeurs de cohésion managériale. À l'inverse, pour de jeunes commerciaux au tempérament compétitif, un leaderboard hebdomadaire avec badges de “Top vendeur" peut être très stimulant. De même, dans une formation de courte durée, on privilégiera des mécanismes immédiatement compréhensibles (quiz, QCM avec points) plutôt qu'un jeu aux règles complexes qui prendrait trop de temps à expliquer. La simplicité des règles est une règle d'or : l'apprenant ne doit pas être plus occupé à comprendre comment fonctionne le jeu qu'à apprendre le contenu. L'infographie ci-dessus illustre par exemple le conseil "Scénario simple" : inutile de multiplier les détours ludiques, mieux vaut une mécanique épurée qui se fond dans la progression pédagogique 27.

Par ailleurs, il est recommandé de combiner plusieurs types de mécaniques pour toucher différents leviers de motivation. Typiquement : prévoir à la fois des récompenses individuelles (points, badges pour valoriser chaque participant) et des défis collectifs (par ex. jeu par équipes, ou objectif commun) afin d'adresser à la fois l'auto-motivation et l'émulation de groupe. Inclure des éléments de hasard ou de découverte (ex : tirage au sort d'un quiz bonus) peut ajouter du piment et maintenir l'attention. Cependant, tout ajout doit être pesé : trop de règles spéciales ou de mini-jeux peuvent diluer l'attention. Chaque mécanique introduite doit avoir une finalité pédagogique claire : par exemple, un classement peut servir à ce que les apprenants se situent et se motivent, un badge peut servir de reconnaissance d'une compétence acquise, un compteur de vie peut encourager à limiter les erreurs, etc.

Soigner le feedback et l'évaluation en continu

Une force de la gamification, c'est le feedback immédiat. Il faut capitaliser dessus : veillez à fournir un retour à l'apprenant dès qu'il effectue une action significative. Si c'est une bonne réponse : un signal visuel/sonore positif, une explication supplémentaire pour consolider le savoir. Si c'est une erreur : un message indiquant pourquoi c'est faux et éventuellement un indice pour réussir. Ce feedback doit être conçu comme un outil d'apprentissage, pas juste un jugement. Dans un jeu, l'erreur n'est pas pénalisante en soi : on peut réessayer. Il est donc opportun d'autoriser les apprenants à corriger leurs erreurs dans un environnement gamifié – par exemple, permettre plusieurs tentatives à un quiz, ou redonner des "vies" pour refaire un exercice. L'important est qu'ils apprennent de leurs échecs (c'est tout l'intérêt du fail-safe environment du jeu). De plus, un feedback régulier maintient l'élève dans un cycle de progression.

En ingénierie pédagogique classique, on parle d'évaluation formative : la gamification la rend omniprésente et ludique. Chaque point gagné ou perdu est en fait une évaluation continue de la performance. Il faut donc paramétrer intelligemment le barème de points pour qu'il reflète l'importance des apprentissages : par exemple, résoudre un cas complexe pourrait rapporter plus de points que répondre à une question de définition, afin de valoriser les efforts cognitifs pertinents. Les tableaux de bord (progression, score total, etc.) que l'on présente aux apprenants doivent être lisibles et alignés avec les compétences visées. Par exemple, un thermomètre de progression par module permet à l'apprenant de voir où il en est dans l'acquisition de chaque compétence clé du programme.

Enfin, célébrer les réussites est essentiel : lorsqu'un apprenant termine un module ou réussit un niveau, le jeu (et le formateur) devrait le féliciter (via un badge, un diplôme virtuel, une reconnaissance publique s'il est d'accord). La reconnaissance est un puissant moteur de motivation adulte. Attention cependant à rester dans une tonalité professionnelle, surtout avec un public adulte en entreprise : les félicitations façon "champion du monde" ou des graphismes enfantins risquent de déplaire. On peut féliciter de manière sobre et valorisante (« Bravo, vous avez atteint le niveau Expert Supply Chain ! » avec un badge stylisé, par exemple).

Adapter la difficulté et maintenir le défi

Un bon jeu maintient le joueur dans un état de défi modéré : ni trop facile (sinon ennui), ni trop difficile (sinon découragement). En formation c'est pareil : la gamification doit être adaptative si possible, ou au moins progressive. Commencez par des exercices ludiques simples pour familiariser tout le monde, puis augmentez graduellement la difficulté des challenges. Si l'hétérogénéité du groupe est grande, prévoyez des moyens d'ajustement : par exemple, des indices que les moins à l'aise peuvent utiliser (au prix de quelques points en moins, pour équilibrer), ou des niveaux bonus pour occuper ceux qui terminent vite. L'adaptive gamification est un domaine émergent : on voit apparaître des systèmes qui, grâce à l'IA, modulent le jeu en fonction des réponses de l'apprenant (s'il échoue plusieurs fois, le jeu propose un tutoriel ou simplifie temporairement la tâche ; s'il réussit facilement, le jeu propose un défi plus corsé). Cela permet de garder chacun dans sa zone de progression optimale. À défaut de tels systèmes, le formateur peut jouer ce rôle d'ajusteur : en présentiel, en circulant pour aider ceux en difficulté pendant un atelier ludique ; en e-learning, via un tuteur en ligne qui monitorerait les scores et interviendrait en soutien ciblé.

Maintenir le plaisir de jeu sur la durée requiert aussi de varier les activités. Même un mécanisme ludique peut lasser s'il est répété sans changement. Alternez différents formats gamifiés : QCM chronométré, étude de cas en équipe, vrai/faux avec vote interactif, simulation sur ordinateur, etc., pour solliciter diverses aptitudes et éviter la monotonie. On peut aussi intégrer des événements surprises (par ex. un mini-jeu bonus non annoncé, un défi éclair apparaissant au milieu de la journée) pour rompre la routine et rebooster l'attention.

Encourager l'interaction sociale et la collaboration

Apprendre, surtout chez l'adulte, est souvent un acte social. La gamification ne doit pas isoler chaque apprenant dans son coin (sauf si c'est du pur e-learning individuel, et encore). Pensez à inclure des dimensions collaboratives : par exemple des défis en binôme ou en groupe, un système de points d'équipe (les membres doivent s'entraider pour réussir ensemble), ou un forum où les apprenants peuvent poster leurs "succès" et se féliciter mutuellement. En présentiel, on peut organiser des jeux de rôle à plusieurs, des quiz par équipes buzzers à la main, etc. En digital, beaucoup de plateformes proposent des classements de groupes ou la possibilité de former des guildes/équipes virtuelles. La collaboration apporte un supplément de sens : l'apprenant se sent membre d'une communauté qui apprend, ce qui est un facteur de motivation (besoin d'appartenance). De plus, elle permet d'adresser des compétences comme le travail en équipe ou la communication, comme on l'a vu. Il faut cependant gérer la compétition de manière saine : la mettre entre équipes plutôt qu'entre individus peut éviter les rivalités individuelles malsaines. Et insister sur le fait que l'objectif est que tout le monde progresse, le jeu n'étant qu'un prétexte. Une astuce est de récompenser la coopération : par ex., donner des points bonus à une équipe si tous ses membres ont atteint un certain score minimal (ce qui incite les forts à aider les plus faibles plutôt qu'à les distancer).

Former et impliquer les formateurs

Un aspect parfois négligé : la meilleure stratégie de gamification ne portera ses fruits que si les formateurs eux-mêmes y adhèrent et sont compétents pour l'animer. Il est donc crucial de former les formateurs à ces nouvelles méthodes. Passer d'un mode "présentation PowerPoint" à un mode "animation de jeu" peut bousculer leurs habitudes. Certains peuvent craindre de perdre la maîtrise du groupe, ou de ne pas savoir gérer l'imprévu du jeu. Un accompagnement (ateliers, tutoriels) est nécessaire pour leur montrer comment faciliter une session gamifiée, comment débriefer efficacement (faire le lien entre le jeu et les enseignements à retenir), comment utiliser les outils numériques le cas échéant. Cette montée en compétence des formateurs fait écho au critère Qualiopi sur la qualification et développement des compétences du personnel 28, 29 : intégrer la gamification dans un organisme, c'est aussi investir dans la formation interne de ses intervenants pour qu'ils adoptent ces pratiques de manière pertinente.

Impliquer les formateurs en amont, c'est aussi recueillir leurs idées. Ceux qui sont sur le terrain ont souvent des intuitions sur ce qui motive leurs apprenants. Les associer à la conception des jeux (co-construction de la ludification) peut renforcer l'efficacité et leur appropriation. Par exemple, un formateur expert peut suggérer un jeu de rôle qu'il pratiquait informellement et qu'on pourrait formaliser dans le programme.

Prévoir le matériel et l'environnement

Sur un plan pratique, assurez-vous d'avoir le matériel adéquat pour les activités ludiques prévues. Si c'est un quiz interactif en salle : avez-vous des buzzers ou des smartphones pour chaque participant ? Si c'est un jeu en ligne : la plateforme est-elle stable, les apprenants ont-ils créé leurs comptes en avance ? Un jeu de plateau physique : avez-vous imprimé/laminé le plateau et les cartes en nombre suffisant ? Anticiper ces détails logistiques évite des couacs qui pourraient casser la dynamique de jeu au moment venu. De même, arrangez la salle de formation de manière propice : par exemple, pour un atelier gamifié, disposer les tables en îlots d'équipe plutôt qu'en disposition frontale classique. Si c'est un escape game, pensez à la déco ou aux accessoires pour l'ambiance, etc. L'environnement compte pour beaucoup dans l'immersion.

Mesurer l'impact

Enfin, comme pour toute démarche pédagogique, il est important de mesurer l'efficacité de la gamification mise en place. Collectez du feedback auprès des apprenants (questionnaires de satisfaction spécifiques : ont-ils apprécié le format ? Se sentent-ils plus confiants sur les sujets appris ?). Observez les indicateurs : taux de réussite aux évaluations, taux de complétion, comparativement à des éditions non gamifiées si possible. Si quelque chose ne fonctionne pas (par ex. un mini-jeu a semé la confusion plus qu'il n'a aidé), ajustez-le ou supprimez-le lors de la prochaine session. La gamification doit faire partie d'un cycle d'amélioration continue – encore un clin d'œil à Qualiopi qui demande de prendre en compte les appréciations des parties prenantes pour améliorer les prestations 30, 31. Ici, l'avis des apprenants sur le volet ludique est crucial : la gamification doit rester un plus et non devenir un obstacle à leurs yeux.

En respectant ces principes – intention pédagogique claire, mécaniques appropriées, feedback riche, adaptation, interaction sociale, formateurs outillés – la gamification peut être intégrée de manière harmonieuse dans vos dispositifs de formation. De nombreux exemples réussis existent : des organismes ont introduit des quiz ludiques quotidiens pour ancrer les connaissances (technique de spaced learning gamifié), d'autres ont conçu des jeux d'entreprise grandeur nature pour former à la gestion de projet (les apprenants "jouent" le déroulement d'un projet du début à la fin, en accéléré, et vivent les conséquences de leurs choix dans le jeu). À chaque fois, on constate que la formation ainsi scénarisée gagne en dynamisme, en cohésion de groupe et en efficacité pédagogique. Cela donne également une image moderne et innovante à l'organisme de formation, ce qui peut le distinguer dans un marché concurrentiel.

Gamification en présentiel vs digital learning : spécificités et complémentarités

La gamification s'invite aussi bien dans les formations en présentiel traditionnelles que dans les dispositifs de digital learning (e-learning, formations à distance, classes virtuelles, MOOCs). Toutefois, les modalités concrètes diffèrent et chacun de ces contextes présente des avantages et défis particuliers pour la ludification.

En présentiel, l'atout majeur est la richesse des interactions humaines directes. Le formateur peut jouer un véritable rôle de maître du jeu en temps réel : il adapte le scénario selon la réceptivité du groupe, il peut mettre de l'ambiance, encourager verbalement, observer les réactions et ajuster immédiatement. Les apprenants, physiquement ensemble, peuvent participer à des activités ludiques grandeur nature difficiles à reproduire en ligne : par exemple des mises en situation théâtrales, des jeux de plateau collaboratifs sur table, des compétitions sportivo-pédagogiques (on pense à ces formations où l'on fait des jeux de rôles filmés, ou où l'on utilise des lego pour travailler la créativité, etc.). La présence physique permet aussi une émulation instantanée : on applaudit le gagnant d'un quiz en direct, on voit la réaction des autres, ce qui crée de l'enthousiasme collectif. En termes de matériel, la salle de formation peut être aménagée avec divers accessoires ludiques (post-its colorés pour un brainstorming gamifié, cartes, dés, tableau de score affiché au mur...).

Le défi en présentiel peut être logistique (ex : gérer un escape game pour 30 personnes dans un temps limité demande une organisation minutieuse, éventuellement des co-animateurs). Il faut aussi veiller à canaliser l'énergie du groupe : un jeu très compétitif pourrait générer du chahut, ou bien certains apprenants très extravertis pourraient monopoliser l'attention. Le rôle du formateur est de maintenir un climat bienveillant et inclusif dans le jeu. Par ailleurs, en présentiel, on est parfois limité par le temps disponible – on ne peut pas "mettre en pause" le groupe entier comme on le ferait individuellement en ligne. Il faut donc prévoir des jeux calibrés pour tenir dans la durée de la session.

En digital learning, la gamification prend souvent la forme de fonctions logicielles intégrées à des plateformes : points, badges, classements en ligne, quizz interactifs, modules e-learning scénarisés, etc. L'avantage est qu'on peut toucher un grand nombre de personnes à distance, de façon asynchrone, et que la plateforme peut gérer automatiquement une partie de la mécanique (calcul des scores, attribution des badges, envoi de feedback immédiat). Les apprenants peuvent progresser à leur rythme, éventuellement en dehors des horaires de bureau, ce qui offre une flexibilité accrue. On voit également émerger des applications mobiles dédiées qui transforment la formation en un petit jeu quotidien (par ex., une app qui envoie une question par jour, l'utilisateur gagne des points, maintient une streak de réussite, etc.). Ces outils exploitent les logiques du jeu vidéo et des réseaux sociaux pour créer de l'engagement régulier et de l'addiction positive à l'apprentissage.

En digital cependant, le danger est la démotivation en solitaire. Si l'expérience n'est pas assez stimulante ou si l'utilisateur rencontre une difficulté sans assistance, il peut abandonner plus facilement (puisqu'aucun formateur n'est là pour le rattraper sur le moment). Il est donc crucial que les dispositifs en ligne gamifiés soient bien conçus en termes d'UX (expérience utilisateur) : ergonomie, progression fluide, aides contextuelles, rythme. Souvent, la gamification en digital s'accompagne de l'analytics : suivi des taux de complétion, du nombre de connexions, etc., pour détecter d'éventuels problèmes d'engagement. Les concepteurs peuvent alors ajuster (par ex. si un niveau du module est trop long et fait chuter beaucoup d'apprenants, on pourrait le découper). Un autre levier consiste à intégrer du social learning même en ligne : forums, chat, classements partagés, voire sessions en webinar où on joue en direct avec Kahoot ou autre. L'isolement est l'ennemi du e-learner, la gamification seule ne suffit pas toujours : l'accompagnement humain (tuteurs en ligne, community managers qui animent la communauté d'apprenants) est recommandé en complément pour soutenir la motivation.

En somme, présentiel et digital offrent chacun un terrain propice à la gamification, avec des approches parfois distinctes mais complémentaires. De plus en plus de formations adoptent d'ailleurs un format hybride (blended learning) combinant le meilleur des deux mondes : par exemple, une plateforme en ligne gamifiée assure les apprentissages théoriques entre des sessions en présentiel, et lors de ces sessions en salle, on organise des activités ludiques de groupe pour pratiquer et ancrer les acquis. Ce blended gamifié permet une expérience complète : l'apprenant reste motivé sur la durée en alternant des phases en autonomie (soutenues par des incentives ludiques numériques) et des phases en groupe (où il retrouve le plaisir du jeu collectif et l'échange). Par exemple, un organisme de formation peut proposer un challenge en ligne sur 2 semaines (les apprenants gagnent des points en réalisant des mini-cas sur la plateforme, consultable par le formateur), puis lors du séminaire présentiel de clôture, les scores récoltés servent de base à un jeu final (quizz de consolidation, remise de prix symboliques aux meilleures contributions, etc.).

Ce qui est certain, c'est que la gamification, qu'elle soit pratiquée face-à-face ou via un écran, requiert de garder l'apprenant au centre et de bien penser les interactions. En présentiel, ces interactions sont humaines et directes ; en digital, elles sont médiatisées par la technologie mais peuvent être tout aussi riches si on utilise les outils collaboratifs et communautaires. L'important est de créer un sentiment d'engagement et de progression quel que soit le contexte.

Limites, défis et écueils de la gamification

Malgré ses attraits, la gamification n'est pas une panacée et peut même, si elle est mal conçue ou mal utilisée, produire des effets contre-productifs. Il est donc indispensable pour un organisme de formation de connaître les limites et risques liés à cette approche, afin d'éviter les écueils et de mettre en place des gardes-fous.

Risque de superficialité et de "gadgetisation"

Le premier danger est de tomber dans une gamification superficielle, un vernis ludique qui n'apporte rien au fond. Par exemple, coller des badges "fun" sur une formation très classique ne la transformera pas magiquement. Pire, les apprenants adultes pourraient percevoir cela comme infantilisant ou artificiel. La resistance au changement côté apprenant est réelle si ceux-ci ont l'impression qu'on joue avec des choses sérieuses sans raison valable. "On n'est pas des enfants, pourquoi nous faire jouer ?" – cette réaction peut survenir si la valeur ajoutée pédagogique n'est pas évidente. Pour éviter cela, il faut toujours pouvoir justifier chaque élément ludique introduit. Évitez de multiplier les gadgets sans cohérence. Par exemple, donner des points pour la moindre action insignifiante peut noyer l'information (le point doit signifier quelque chose). De même, un univers de jeu trop décalé (genre médiéval fantastique pour une formation comptable) peut nuire à la crédibilité du formateur. Il faut trouver le ton juste, en accord avec la culture de l'entreprise cliente et le profil des apprenants. La gamification n'implique pas nécessairement d'être "enfantin" : on peut faire sérieux et ludique. Par exemple, un challenge qualité ISO peut être présenté comme une mission d'audit à mener (ludique par le défi, mais le thème reste sérieux et ancré métier).

Un jeu peut en cacher un autre : attention aux comportements indésirables

Les mécanismes de jeu, surtout compétitifs, peuvent engendrer des comportements qu'il faut anticiper. Par exemple, la présence d'un classement peut motiver la majorité, mais aussi démotiver les derniers ou encourager du triche (certains pourraient trouver des moyens d'avoir des points sans apprendre réellement, par exemple en partageant les réponses d'un quiz). Il faut donc concevoir des règles qui minimisent la triche (par ex., banque de questions aléatoires pour chaque apprenant) et expliquer que le but est l'apprentissage, pas juste la première place. Dans les jeux en équipe, attention aux phénomènes de leadership dominateur – un participant très joueur pourrait imposer ses idées et étouffer les autres. Le formateur doit veiller à ce que chacun ait sa place, quitte à désigner des rôles tournants ou à intervenir si un déséquilibre apparaît.

Par ailleurs, trop de compétition peut stresser certains profils. Un apprenant plus introverti ou moins sûr de lui pourrait vivre la gamification comme une pression supplémentaire s'il a peur de "faire perdre son équipe" ou d'être montré du doigt. Il est alors crucial d'instaurer une bienveillance explicite : le droit à l'erreur dans le jeu, le fait que c'est un entraînement sans enjeu réel. On peut aussi offrir différentes voies de réussite : par exemple, récompenser différents types de talents (pas seulement la rapidité ou la performance brute). Un apprenant qui contribue par un partage de connaissance pourrait aussi gagner des points ("esprit d'équipe") même s'il n'est pas premier aux quiz.

Effet sur la motivation : attention à l'extrinsèque

Comme évoqué, la gamification manipule beaucoup la motivation extrinsèque via récompenses et sanctions symboliques. Or, des études montrent qu'une sur-dépendance aux récompenses externes peut parfois diminuer la motivation intrinsèque à apprendre sur le long terme (phénomène de surjustification). En d'autres termes, l'apprenant peut prendre l'habitude de n'apprendre que s'il y a une carotte, et bouder l'apprentissage lorsqu'il n'y a plus le jeu. C'est un paradoxe à gérer : le jeu initialement stimule l'envie, mais il faut veiller à ce qu'au final l'apprenant retienne le plaisir du savoir lui-même, pas juste le plaisir du jeu. Pour cela, comme vu précédemment, il faut constamment faire le lien entre l'activité ludique et son sens réel. Par exemple, lors du débrief : “Voyez, vous avez tous réussi à optimiser votre usine dans le jeu et gagner des points ; cela reflète votre nouvelle compétence en gestion de production, qui vous sera utile sur le terrain !". Ainsi l'apprenant associe la réussite du jeu avec la réussite métier, et non pas uniquement avec un artifice.

De plus, il peut être utile de dégressivité dans la ludification : en phase initiale on mise sur beaucoup de feedbacks et récompenses, puis progressivement on espace les récompenses extrinsèques pour laisser l'apprenant s'auto-motiver. C'est un peu le principe des jeux vidéo : au début on vous gave de bonus et de compliments pour vous accrocher, puis plus vous progressez moins on vous tient la main, vous trouvez votre satisfaction dans la maîtrise du jeu lui-même. En formation, cela pourrait se traduire par exemple par un système où sur les derniers modules il n'y a plus de points donnés pour chaque petite action, mais encore quelques grands défis qui, eux, consolidés, prouvent qu'on a atteint le niveau souhaité.

Saturation et rejet du jeu

Il faut aussi se rendre compte que la gamification ne convient pas à 100 % des apprenants. Certains, par goût personnel, n'aiment tout simplement pas jouer ou se prêter à ce type d'exercice (on trouve parfois des profils qui trouvent cela puéril, ou qui ont peur du ridicule). C'est leur droit. Il est alors délicat de les forcer – au risque de les braquer davantage. Comment faire ? D'abord, bien communiquer en amont : présenter la démarche, rassurer sur le fait qu'il ne s'agit pas de les infantiliser mais de rendre la session interactive, etc. Pendant la formation, on peut offrir des alternatives ou de la souplesse : par exemple, quelqu'un de mal à l'aise pour jouer un rôle en public peut contribuer autrement (en étant observateur qui donne un feedback, ou en jouant via un avatar numérique s'il préfère). Il faut éviter de mettre mal à l'aise les participants. L'objectif n'est pas de forcer des introvertis à devenir extravertis, mais de créer un environnement où chacun trouve sa place.

Parfois, la surcharge ludique peut aussi conduire à de la fatigue ou de la confusion. Trop d'informations, de règles, de scores partout – l'apprenant peut saturer, surtout s'il est déjà en situation d'apprentissage intense (nouveau job, beaucoup de choses à intégrer). La simplicité et l'ergonomie doivent primer. En digital learning notamment, une interface surchargée d'éléments ludiques peut perturber la navigation. De même, si tout devient jeu tout le temps, on peut perdre de vue l'essentiel. Il peut donc être bon de prévoir des moments de pause dans le jeu, pour revenir sur un mode d'apprentissage plus classique, laisser reposer. Un équilibre entre phases ludiques et phases réflexives est idéal. Comme dans un récit, on a besoin de moments de respiration.

Résultats mitigés dans certaines études

La littérature scientifique sur la gamification, bien que globalement positive, comporte aussi des résultats nuancés. Par exemple, une étude célèbre de Domínguez et al. (2013) sur un cours universitaire en ligne avait montré que les étudiants soumis à une version gamifiée du cours étaient plus actifs et plus motivés, mais avaient en moyenne des résultats légèrement inférieurs sur les tests de connaissance par rapport au groupe témoin 32. L'hypothèse était que certains étudiants s'étaient focalisés sur les mécaniques du jeu (gagner des badges) au détriment de l'étude en profondeur du contenu – en quelque sorte, ils jouaient le jeu pour le jeu et non pour apprendre. Ce genre de résultat invite à la prudence : si la gamification est mal alignée, elle peut détourner l'attention des vrais objectifs (les apprenants optimisent leurs points plutôt que leur compréhension). Pour contrer cela, il faut concevoir le jeu de sorte que “bien jouer” = “bien apprendre”. Dans le cas de Domínguez, on peut imaginer qu'ils ont ajusté par la suite la mécanique pour mieux corréler la récolte de badges à l'acquisition effective de connaissances, ou ajouter des séances de débrief pour recentrer sur le contenu.

De même, une méta-analyse de 2014 (Hamari et al.) note que les effets de la gamification dépendent fortement du contexte et du profil des utilisateurs : ce qui marche très bien dans un cadre peut moins bien marcher dans un autre 33. Par exemple, les jeux éducatifs ont montré plus d'effet positif dans des contextes d'apprentissage informel que dans un cursus académique très contraint. Chez les adultes, la variété des attentes joue beaucoup : un public de commerciaux vs un public de chercheurs n'adhérera pas aux mêmes approches. Il est donc important de personnaliser autant que possible la démarche gamifiée à l'audience ciblée. D'où l'intérêt de bien connaître son public (via l'analyse des besoins préalable) et idéalement de proposer une gamification modulable.

Enfin, une limite pragmatique : la gamification peut demander un investissement en temps et en moyens non négligeable. Concevoir un bon serious game coûte cher (développement logiciel). Même une gamification plus légère, c'est du temps de préparation supplémentaire pour le formateur. Toutes les organisations n'ont pas les ressources pour cela. Il faut donc évaluer le ROI (retour sur investissement) de la gamification : dans quels cas est-elle vraiment justifiée ? Peut-être pas pour chaque formation courte ou très simple. Elle sera particulièrement rentable sur les formations longues, complexes, critiques, où l'engagement est vital (par ex., formations réglementaires longues et ennuyeuses – la gamification peut éviter l'abandon, donc justifie son coût). Par contre, pour une petite formation de 2h, investir dans une plateforme ludique entière serait disproportionné ; on peut alors opter pour une micro-gamification maison (quelques quiz ludiques via des outils gratuits) plutôt que de grands déploiements.

Éthique et protection des données

Un point à mentionner aussi : qui dit gamification numérique dit potentiellement collecte de données d'apprentissage (Learning Analytics). Suivre les scores, les comportements de jeu, peut fournir des informations sur l'apprenant. Il faut veiller à respecter la vie privée et la RGPD : informer les participants de ce qui est tracé, pourquoi, et s'assurer de la sécurité de ces données (surtout si on utilise des applications externes). Sur un plan éthique, il est également important de ne pas manipuler à l'excès. La gamification pousse certains ressorts psychologiques (volonté de récompense, compétition) ; l'intention doit rester éducative et bienveillante. On veut éviter des situations de malaise ou de discrimination. Par exemple, afficher publiquement des scores peut être humiliant pour les derniers : on peut choisir d'afficher uniquement les top scores sans pointer du doigt les moins performants, ou mieux, utiliser des pseudonymes choisis par les apprenants pour le classement afin de préserver l'anonymat relatif.

En conclusion de cette partie, on retiendra que la gamification, mal utilisée, peut rater sa cible voire engendrer rejet ou baisse de performance. Il faut donc l'aborder avec humilité et rigueur. Connaître ces limites permet de mieux concevoir, animer et ajuster les dispositifs. Heureusement, la plupart des écueils trouvent leur solution dans les bonnes pratiques qu'on a décrites précédemment. En gardant toujours le focus sur l'apprentissage, en restant à l'écoute des retours et en étant prêt à itérer, on peut éviter la plupart des pièges. La gamification est un outil : c'est à l'ingénieur pédagogique et au formateur de l'utiliser judicieusement, comme un bon ouvrier avec son outil, en sachant quand l'utiliser et quand s'en abstenir.

Perspectives d'avenir de la gamification en formation

La gamification s'est imposée en quelques années comme une tendance lourde de la formation professionnelle. Quelles évolutions peut-on anticiper dans les prochaines années, au vu des avancées technologiques et pédagogiques ? Voici quelques perspectives et tendances à surveiller, qui pourraient façonner la "gamification 2.0" de demain et enrichir encore nos pratiques de digital learning et de pédagogie innovante.

  • Gamification adaptative et personnalisation par l'IA : La prochaine étape sera sans doute d'aller vers des systèmes intelligents capables d'adapter finement l'expérience de jeu à chaque apprenant. Des recherches récentes portent sur l'adaptive gamification : en gros, le jeu analyse en temps réel le profil, les préférences et la progression de l'apprenant, et modifie la difficulté, le type de défis, voire la narration en conséquence 22, 34. Par exemple, un apprenant qui semble démotivé pourrait se voir proposer un défi plus ludique et facile pour le raccrocher, tandis qu'un apprenant performant aura droit à une énigme corsée supplémentaire pour ne pas s'ennuyer. L'intelligence artificielle, couplée aux données d'apprentissage massives, va permettre ce niveau de personnalisation. On peut imaginer des chatbots ludiques jouant le rôle de compagnon de jeu/tuteur, qui encouragent l'apprenant, lui donnent des conseils en langage naturel, etc. L'IA pourrait aussi générer de nouveaux scénarios de jeu à la volée, créer des quiz adaptés aux lacunes observées, ce qui rendrait la gamification quasi infinie et parfaitement sur-mesure.
  • Immersion totale avec la Réalité Virtuelle (VR) et Réalité Augmentée (AR) : La gamification va rejoindre l'univers plus large des expériences immersives. La VR permet déjà de créer des serious games d'un réalisme époustouflant (par ex., simuler une opération de maintenance industrielle dans un environnement virtuel en 3D où l'apprenant peut manipuler des objets comme s'il y était). À l'avenir, on verra certainement plus de formations gamifiées en VR pour tout ce qui touche aux compétences pratiques et sécurité (où la VR offre un terrain d'entraînement sans danger). La Réalité Augmentée, de son côté, pourra introduire du jeu dans le réel : par exemple, en AFEST, un apprenant muni de lunettes AR pourrait recevoir en direct des "missions" affichées dans son champ de vision pendant son travail, transformant une routine en quête ludique. L'AR pourrait aussi permettre des jeux de piste pédagogiques dans les locaux de l'entreprise ou en extérieur (utiles pour des parcours d'intégration ludiques, par exemple). Ces technologies vont rendre la frontière entre jeu et réalité de plus en plus floue, maximisant l'engagement par le wow-effect de la technologie, mais toujours encadrées par des objectifs pédagogiques.
  • Analytique et preuves d'efficacité : Pour que la gamification continue de gagner en légitimité, il faudra accumuler des données probantes de son efficacité. On peut s'attendre à plus d'études longitudinales sur l'impact réel en entreprise : par exemple, mesurer si des employés formés via gamification performent mieux sur le long terme, ont un meilleur taux de rétention dans l'entreprise (parce qu'ils se sentent plus engagés dans leur développement), etc. Les outils de Learning Analytics couplés aux plateformes gamifiées fourniront des tonnes de données – à exploiter avec discernement – sur les comportements d'apprentissage. Cela permettra d'affiner les designs (via des approches de type A/B testing sur des mécaniques de jeu) et de prouver le ROI aux décideurs. On peut imaginer que la gamification deviendra un élément prisé dans les tableaux de bord RH pour suivre la progression des compétences et l'engagement formation des collaborateurs.
  • Élargissement des publics et des usages : La génération des "digital natives" arrivant massivement dans la population active, on aura un public de plus en plus familier du langage du jeu. L'acceptation culturelle de la gamification va croître. Ce qui pouvait sembler farfelu il y a 10 ans (jouer en formation) deviendra banal. De plus, la gamification pourrait s'étendre à des domaines de formation jusqu'ici peu explorés ludiquement : on voit déjà des prototypes pour la formation des médecins via des jeux (diagnostiquer un patient virtuel), la formation en finance via des simulations boursières ludiques, etc. Même les sujets de formation réglementaire obligatoire (souvent subis comme ennuyeux, type hygiène, conformité, etc.) seront de plus en plus gamifiés pour en améliorer l'efficacité.
  • Communautés d'apprenants-joueurs : On pourrait assister à la montée de communautés apprenantes qui se forment autour de dispositifs gamifiés partagés. Par exemple, une plateforme de formation sectorielle gamifiée où des professionnels de différentes entreprises viennent s'affronter amicalement sur des quiz métier, partager leurs scores, se lancer des défis. Cela sort du cadre de la formation "fermée" d'une seule organisation, pour aller vers de l'apprentissage social inter-entreprises. Des initiatives open-source ou participatives pourraient émerger (imaginez une sorte de "Duolingo des compétences professionnelles” open, où chacun contribue à créer des défis). Dans ces communautés, le rôle du formateur évoluera encore davantage vers celui d'un animateur/modérateur, fournissant du contenu, du feedback, mais aussi laissant la communauté co-créer du jeu (certains apprenants avancés créent eux-mêmes des quiz pour les autres, etc., ce qui se voit déjà sur certaines plateformes collaboratives).
  • Reconnaissance officielle des apprentissages ludiques : Avec l'essor de la gamification, on peut imaginer que les badges numériques gagnés dans des formations auront de plus en plus de valeur officielle. Le mouvement des Open Badges vise justement à créer des badges de compétences reconnus au-delà du jeu, pouvant figurer sur le CV, sur LinkedIn, etc. À l'avenir, un apprenant pourra présenter fièrement un portefeuille de badges attestant de ses compétences, obtenus en jouant mais correspondant à de vrais acquis validés. Cela pourrait compléter les systèmes classiques de certification. Des organismes comme France Compétences pourraient s'intéresser à ces modes de validation innovants, tant qu'ils sont robustes. Le référentiel Qualiopi, qui insiste sur l'évaluation des acquis et la preuve de l'atteinte des objectifs, pourrait intégrer à terme des indicateurs liés à des formes d'évaluation ludiques, si celles-ci se généralisent.

En perspective, on voit que la gamification en formation a un bel avenir, mais aussi de nouveaux défis. La technologie ouvrira des portes (VR, IA, data), qu'il faudra franchir prudemment pour ne pas dénaturer l'esprit pédagogique. L'approche devra rester centrée sur l'humain : le jeu n'est qu'un moyen pour améliorer l'apprentissage humain. On peut par exemple se demander comment concilier une automatisation par l'IA avec la nécessaire présence humaine du formateur : l'idéal sera probablement une collaboration homme-machine, où l'IA fait le boring job d'ajuster des paramètres et fournir du feedback instantané, tandis que le formateur concentre son action sur l'accompagnement empathique, le débriefing réflexif et l'encadrement éthique.

En tout cas, le mot "gamification” a déjà conquis le vocabulaire de la formation professionnelle, et avec lui l'idée sous-jacente qu'apprendre peut (et doit) se faire dans le plaisir et l'engagement actif. C'est un changement de paradigme par rapport à des conceptions plus traditionnelles de la formation. On assiste finalement à la concrétisation de la devise de Platon : “On peut en savoir plus sur quelqu'un en une heure de jeu qu'en une année de conversation.” Transposé à la formation : on peut apprendre plus (sur un sujet et sur soi-même) en une heure de jeu sérieux qu'en une journée de cours passif.

Conclusion

"Engager vos apprenants et maximiser la rétention" : la promesse de la gamification en formation, si elle peut sembler ambitieuse, s'avère réalisable lorsque cette approche est mise en œuvre avec sérieux et créativité. Au fil de cet article, nous avons exploré en profondeur comment l'intégration de mécanismes de jeu dans les dispositifs pédagogiques permet de relever deux défis centraux de la formation professionnelle : captiver l'attention des apprenants (dans un contexte où le temps disponible et la motivation sont souvent limités) et ancrer durablement les connaissances et compétences (afin qu'elles se traduisent en performances tangibles sur le terrain).

Les exemples et études cités mettent en évidence que la gamification n'est pas qu'un effet de mode mais bien un levier pédagogique efficace : elle peut accroître la motivation de manière significative, comme en témoigne l'élévation des taux de participation, l'investissement supplémentaire consenti par les apprenants, et le feedback enthousiaste qu'ils expriment souvent (« apprendre est devenu un plaisir »). Elle peut également améliorer les résultats d'apprentissage, avec des apprenants plus compétents et confiants – les recherches montrent notamment des gains en mémorisation et en performance lorsque le jeu est judicieusement intégré 16. En alignant ces pratiques ludiques avec les principes de l'andragogie, on crée des environnements de formation qui respectent la nature de l'adulte apprenant : actif, volontaire, en quête de sens et d'autonomie.

Il convient toutefois de souligner que la gamification réussie repose sur un équilibre. Équilibre entre le ludique et le pédagogique, entre la motivation extrinsèque (récompenses, badges) et l'engagement intrinsèque (intérêt réel pour le contenu), entre la compétition et la coopération, entre l'usage du numérique et la chaleur de l'humain. C'est un art subtil d'ingénierie pédagogique, appuyé par des données scientifiques mais requérant aussi du terrain et du bon sens. Tous les thèmes chers à la formation professionnelle en France – pédagogie, ingénierie pédagogique, digital learning, référentiel de compétences, Qualiopi, AFEST, etc. – peuvent trouver dans la gamification un allié puissant, à condition d'en respecter les bonnes pratiques et de garder le cap sur les objectifs de développement des compétences.

Pour les organismes de formation, investir dans la gamification, c'est investir dans la qualité et l'attractivité de leurs prestations. Dans un paysage formé par la réforme de 2018, la certification Qualiopi et la démocratisation du CPF, il est impératif de se démarquer par des approches pédagogiques à la fois rigoureuses et innovantes. Offrir à ses clients apprenants des expériences ludiques, interactives, efficaces, c'est renforcer leur satisfaction et donc son propre image de marque. Cela donne une image d'entreprise apprenante moderne, qui sait mobiliser les apports de la recherche et de la technologie pour servir l'humain. De plus, la gamification s'inscrit pleinement dans la démarche d'amélioration continue : par essence, on peut ajuster les règles du jeu, faire évoluer les contenus en fonction des retours, expérimenter de nouvelles mécaniques – c'est un processus agile qui pousse l'organisme à innover en permanence.

En conclusion, loin d'être un gadget, la gamification est en passe de devenir un standard de la formation professionnelle, un outil incontournable de l'ingénierie pédagogique du XXIe siècle. Elle témoigne d'une conception de la formation centrée sur l'apprenant, où celui-ci n'est plus un réceptacle passif mais un acteur engagé de son parcours d'apprentissage. Comme tout changement de paradigme, elle demande un temps d'appropriation, de formation des formateurs, d'ajustement culturel, mais les bénéfices en valent la peine.

Chez Argalis, éditeur engagé aux côtés des organismes de formation, nous croyons que ces approches ludiques contribuent à ré-enchanter la formation et à la rendre toujours plus efficace face aux défis actuels (montée en compétences rapide, évolution technologique, besoin de soft skills, etc.). Intégrer la gamification, c'est finalement renouer avec ce qui fait l'essence de tout apprentissage réussi : la curiosité, le goût du défi, le plaisir de progresser et la fierté d'accomplir. Autant de valeurs que le jeu, judicieusement employé, permet de raviver.

Le mot de la fin sera donc une invitation : "Osez la gamification !". Que vous soyez dirigeant d'organisme de formation, responsable pédagogique ou formateur indépendant, n'hésitez pas à expérimenter à petite ou grande échelle ces mécanismes de jeu dans vos dispositifs. Appuyez-vous sur les ressources scientifiques, inspirez-vous des exemples qui foisonnent, formez-vous aux outils – et lancez-vous. Vos apprenants vous en sauront gré, et vous pourriez bien, vous aussi, y prendre goût. Après tout, comme l'écrivait Albert Einstein, "Le jeu est la forme d'investigation la plus élevée". Alors jouons sérieusement pour apprendre sérieusement : l'entreprise n'en sera que plus performante, et l'apprenant, plus épanoui dans son développement professionnel continu.

Bibliographie

  1. Dahalan, F., Alias, N., & Shaharom, M. S. N. (2024). Gamification and Game Based Learning for Vocational Education and Training: A Systematic Literature Review. Education and Information Technologies, 29(2), 1279-1317. DOI: 10.1007/s10639-022-11548-w 35, 36
  2. Bofala, M., & Benhoumane, A. (2024). Application de la gamification pour améliorer l'apprenance des collaborateurs. Innovations, 73(1), 25-55. DOI: 10.3917/inno.073.0025 10, 11
  3. Fillon, A. (2022). Modéliser l'adoption de la gamification en formation professionnelle (Thèse de doctorat, Aix-Marseille Université). [En ligne] Disponible sur Theses.fr (N° 2022AIXM0219). 16, 37
  4. Insee & Dares (2024). Un recours plus fréquent à la formation en 2022 pour les personnes en emploi et les plus diplômées. Insee Première, n°1994, avril 2024. 1
  5. Dares (Ministère du Travail) (2024). Le compte personnel de formation en 2023 – Baisse des entrées en formation suite à plusieurs mesures de régulation. Dares Résultats, n°40, 10 juillet 2024. 3
  6. Wikipédia (2025). Article “Ludification”. In: Wikipédia [En ligne], dernière modification le 17/08/2025. 2, 8
  7. Ministère du Travail (2023). Référentiel national qualité – Guide de lecture Qualiopi (Version 9), téléchargeable sur travail-emploi.gouv.fr (mis à jour 08/01/2024). Voir notamment l'indicateur 12 sur l'engagement des bénéficiaires. 4, 15
  8. Domínguez, A., Saenz-de-Navarrete, J., de-Marcos, L., et al. (2013). Gamifying learning experiences: Practical implications and outcomes. Computers & Education, 63, 380-392.
  9. Hamari, J., Koivisto, J., & Sarsa, H. (2014). Does Gamification Work? – A Literature Review of Empirical Studies on Gamification. Proc. 47th Hawaii Intl. Conference on System Sciences (HICSS), 3025-3034.
  10. Carré, P. (2020). Pourquoi et comment les adultes apprennent – De la pédagogie à l'apprenance. Paris : Dunod.

(NB : Les sources ci-dessus incluent des publications scientifiques évaluées, des données statistiques officielles (Insee, Dares), ainsi que des références théoriques reconnues. Elles étayent les affirmations du texte et offrent des pistes pour approfondir le sujet de la gamification en formation.)

1 Un recours plus fréquent à la formation en 2022 pour les personnes en emploi et les plus diplômées - Insee Première - 1994
https://www.insee.fr/fr/statistiques/8177288

2, 5, 6, 7, 8 Ludification — Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ludification

3 Le compte personnel de formation en 2023 | DARES
https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/le-compte-personnel-de-formation-en-2023

4, 15, 31 Qualiopi Indicateur 12 : Engagement des bénéficiaires - Certifopac
https://certifopac.fr/qualiopi/referentiel/3-accueil-suivi-evaluation/12-engagement-beneficiaires/

9 Carré, P. (2020). Pourquoi et comment les adultes apprennent. De ...
https://shs.cairn.info/revue-recherche-et-formation-2021-2-page-140?lang=fr

10, 11, 19, 20 Application de la gamification pour améliorer l'apprenance des collaborateurs | Request PDF
https://www.researchgate.net/publication/377620445_Application_de_la_gamification_pour_ameliorer_l'apprenance_des_collaborateurs

12 Les tendances actuelles et futures de la gamification dans la ...
https://psico-smart.com/fr/blogs/blog-les-tendances-actuelles-et-futures-de-la-gamification-dans-la-formation-professionnelle-19368

13, 14, 22, 34, 35, 36 Gamification and Game Based Learning for Vocational Education and Training: A Systematic Literature Review | Request PDF
https://www.researchgate.net/publication/367086159_Gamification_and_Game_Based_Learning_for_Vocational_Education_and_Training_A_Systematic_Literature_Review

16, 17, 18, 21, 32, 33, 37 theses.fr
https://theses.fr/2022AIXM0219.pdf

23, 24, 27 L'Infographie de la Gamification | SCIADO
https://sciado.fr/blog/gamification/

25 Gamification en formation: définition, enjeux, avantages, exemple...
https://culture-rh.com/gamification-formation/

26 Connaissez-vous vraiment les étapes de la certification Qualiopi
https://schola-ingenierie.fr/etapes_qualiopi/

28, 29, 30 Référentiel national qualité | Guide de lecture « Qualiopi » | Travail-emploi.gouv.fr | Ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles
https://travail-emploi.gouv.fr/referentiel-national-qualite-guide-de-lecture-qualiopi

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