La sous-traitance en formation : cadre juridique et enjeux de conformité
Définition et responsabilité en cas de sous-traitance
La sous-traitance dans le secteur de la formation professionnelle se définit comme le fait, pour un organisme de formation (OF), de déléguer à une entité tierce l’exécution d’une action de formation, en partie ou en totalité [15]. Le sous-traitant peut être un formateur indépendant, un autre organisme de formation, voire une structure spécialisée (cabinet, entreprise de portage, etc.). Juridiquement, la sous-traitance est une opération encadrée par la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, qui impose la conclusion d’un contrat écrit entre le donneur d’ordre et le sous-traitant, et pose le principe que le donneur d’ordre reste responsable vis-à-vis du « maître d’ouvrage » (ici, le bénéficiaire de la formation ou le financeur) de la bonne exécution du contrat [16, 17]. Dans le cadre des formations professionnelles, ce principe est réaffirmé : « en confiant à un sous-traitant l’animation d’une prestation, l’organisme de formation reste responsable des agissements de son sous-traitant » [9]. En somme, déléguer n’exonère pas de la responsabilité : l’OF doit s’assurer que la prestation réalisée par le tiers respecte la réglementation applicable et les standards de qualité attendus [18, 19].
Qualiopi : une exigence étendue à vos partenaires
Au-delà du contrat, le volet qualité est central lorsqu’on parle de sous-traitance en formation. La certification Qualiopi, mise en place par la loi « Avenir professionnel » de 2018, est devenue depuis 2022 la clé d’accès aux financements publics (OPCO, CPF, etc.) pour les prestataires de formation [8]. Son référentiel (le Référentiel national qualité ou RNQ) comporte 7 critères et 32 indicateurs portant sur les processus de conception, d’animation, d’évaluation, d’amélioration continue, etc. Lorsqu’un organisme certifié Qualiopi fait appel à un prestataire externe pour réaliser une formation, il doit veiller à ce que les exigences Qualiopi soient également respectées tout au long de cette action sous traitée. Initialement, le guide de lecture du RNQ prévoyait un indicateur spécifique (l’indicateur 27, critère 6) demandant à l’organisme certifié de démontrer les dispositions prises pour s’assurer du respect du référentiel par un formateur salarié porté ou un sous-traitant [20, 21].
Risques en cas de sous-traitance non conforme
Ne pas respecter le cadre de conformité lors d’une sous-traitance de formation peut exposer un organisme de formation à divers risques, juridiques comme financiers et réputationnels. Voici les principaux écueils à connaître et à éviter :
- Perte des financements et déréférencement CPF
- Non-conformité qualité et échec d’audit Qualiopi
- Risque de requalification en contrat de travail
- Litiges contractuels et commerciaux
- Atteinte à l’image et à la satisfaction client
Nouvelles obligations pour une sous-traitance conforme (depuis 2024)
Un contrat écrit détaillé : une obligation formelle et matérielle
La pierre angulaire d’une sous-traitance conforme, c’est le contrat. Bien qu’évidente en apparence, cette exigence a dû être réaffirmée par la réglementation récente. En effet, le décret n° 2023-1350 a créé l’article R.6333-6-2 du Code du travail disposant que « le contrat de sous-traitance […] est conclu par écrit » et en précisant les mentions obligatoires qu’il doit comporter [13, 38].
Plafonnement de la part sous-traitée : 80 % du CA CPF maximum
Une des mesures phares entrée en vigueur en 2024 est le plafonnement du volume de sous-traitance que peut effectuer un organisme de formation sur le marché CPF. Cette règle, fixée par l’arrêté du 3 janvier 2024 dit « arrêté Pareto », établit que le chiffre d’affaires qu’un organisme réalise sur Mon Compte Formation ne peut être sous-traité au-delà de 80 % [13, 14].
Conditions d’éligibilité applicables aux sous-traitants
Comme évoqué précédemment, la grande nouveauté est que les sous-traitants sont soumis aux mêmes règles que les organismes de formation référencés sur MonCompteFormation [49]. Cette homogénéisation se traduit par une liste de critères que tout sous-traitant doit respecter pour intervenir sur une action CPF (critères posés aux articles R.6333-6-3 et R.6333-6-4 du Code du travail) [50, 51].
Fin du portage salarial comme solution de substitution
Un point mérite d’être clarifié concernant le portage salarial dans le secteur de la formation, car il peut prêter à confusion. Le portage salarial est un dispositif légal qui permet à un professionnel indépendant d’être salarié d’une société de portage, laquelle facture les clients et reverse un salaire au porté (après retenue de frais de gestion). Certains formateurs ont recours à cette formule pour bénéficier du statut de salarié (protection sociale, assurance chômage) tout en gardant une autonomie. Toutefois, en matière de formation financée, le portage salarial ne permet pas de s’affranchir des exigences Qualiopi et réglementaires.
Bonnes pratiques pour sécuriser vos contrats de sous-traitance
Compte tenu des obligations détaillées ci-dessus, comment mettre en place concrètement une sous traitance sécurisée et efficace ? Voici une série de bonnes pratiques, organisées selon les étapes de la collaboration : sélection du partenaire, formalisation contractuelle, pilotage de la prestation et évolutions à moyen terme.
- Bien sélectionner et qualifier vos sous-traitants
- Négocier et formaliser un contrat équilibré
- Assurer le suivi qualité de l’action sous-traitée
- Anticiper les évolutions et adapter sa stratégie de sous-traitance
Conclusion
La sous-traitance en formation n’est plus un angle mort du contrôle qualité : elle est désormais au cœur des préoccupations réglementaires et stratégiques des organismes de formation. Comme nous l’avons vu, les récentes évolutions (loi de 2022, décret et arrêté de 2023-2024) ont instauré un véritable mode d’emploi pour une sous-traitance conforme : contrat écrit rigoureux, obligations de certification et de déclaration pour les sous-traitants, plafonnement du volume externalisé, etc. Ces mesures, qui peuvent sembler contraignantes de prime abord, poursuivent un objectif salutaire : assurer une qualité homogène des formations financées sur fonds publics et prévenir les dérives qui ont pu entacher l’image du CPF (fraudes, sessions fictives, organisme “boîte aux lettres”…).
Pour les dirigeants d’organismes de formation, cela implique une montée en compétence sur le pilotage des partenariats. Il ne suffit plus d’identifier un bon formateur externe et de le missionner : il faut intégrer cette collaboration dans une démarche globale de qualité, vérifier ses accréditations, l’accompagner, et en assumer la responsabilité. En un sens, on passe d’une sous-traitance opportuniste à une sous-traitance structurée et assumée, qui devient un prolongement de l’organisme donneur d’ordre. Les bénéfices à en tirer sont multiples : en sécurisant vos contrats, vous sécurisez aussi vos financements, votre réputation et la satisfaction de vos clients. Vous minimisez le risque de litiges coûteux et évitez les interruptions d’activité liées à des suspensions de certification ou déréférencements.
À plus long terme, on peut y voir l’opportunité d’un gain de crédibilité pour l’ensemble du secteur. Des partenariats transparents et conformes renforceront la confiance des entreprises et des apprenants dans l’offre de formation professionnelle. Il est probable que les organismes les plus vertueux mettront même en avant ce sérieux dans leur communication (par ex. “100 % de nos formateurs partenaires sont certifiés et engagés dans notre démarche qualité”). On peut aussi anticiper certaines évolutions : le marché pourrait se consolider autour d’organismes qui intègrent davantage de compétences en interne, tandis que les formateurs indépendants seront incités à se regrouper ou à se certifier individuellement pour rester dans la boucle du CPF. L’innovation technologique viendra sans doute en appui pour faciliter la mise en conformité (plateformes de suivi automatisé, blockchain pour tracer les parcours de formation, etc.). Quant au cadre réglementaire, il continuera d’ajuster le tir en fonction des retours du terrain : les exceptions fixées (micro-entrepreneurs sous seuil, etc.) pourront évoluer si elles sont source d’abus ou au contraire si elles doivent être élargies.
En définitive, “sécuriser vos contrats” de sous-traitance, ce n’est pas seulement éviter des litiges – c’est aussi inscrire vos collaborations dans une logique de qualité partagée et de développement durable de votre offre de formation. Chaque contrat bien ficelé et chaque partenariat conforme est un gage de sérénité pour vous, pour vos partenaires et pour vos clients. Argalis, en tant qu’éditeur de solutions pour les organismes de formation, l’a bien compris : la fiabilité et la qualité sont les maîtres mots d’une croissance saine dans ce secteur. En appliquant les principes et bonnes pratiques exposés dans cet article, vous renforcerez non seulement votre conformité Qualiopi, mais aussi votre crédibilité en tant qu’acteur de référence, capable d’allier flexibilité et excellence dans un environnement en mutation.
Bibliographie
- Code du travail : Article L.6323-9-2 introduit par la loi n° 2022-1587 du 19 décembre 2022 visant à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires [10].
- Code du travail : Articles R.6333-6-2 à R.6333-6-4 issus du décret n° 2023-1350 du 28 décembre 2023 portant diverses mesures relatives au compte personnel de formation ainsi qu’au bilan de compétences [49, 69].
- Arrêté du 3 janvier 2024 portant fixation du plafond mentionné à l’article R.6333-6-2 du Code du travail (dit “arrêté 80 %”) [13, 70].
- Ministère du Travail (2024). Compte personnel de formation (CPF) – Encadrement de la sous traitance des OF : FAQ officielle [53, 71].
- Portail Mon Compte Formation (2023). Quelles sont mes obligations en matière de sous traitance ? (fiche aide en ligne) [72, 73].
- Certifopac (2024). Portage Qualiopi, de quoi parle-t-on ? – analyse des cas de figure et de la fin du portage Qualiopi [22, 63].
- Digi-Certif (2025). Le portage Qualiopi est-il interdit ? – article de blog expliquant la loi de finances 2023 et ses implications [2, 3].
- Centre Inffo (2024). Compte personnel de formation : 1 851 200 entrées en 2022 – point statistique DARES et rappel du resserrement des contrôles [68].
- ICPF (2024). Trouver un organisme certifié Qualiopi – chiffres-clés sur le nombre d’organismes de formation certifiés (45 019 au 19/07/2024) [74].
- Ministère du Travail (2024). Le marchandage – fiche explicative sur l’interdiction du prêt de main-d’œuvre illicite et ses sanctions [6, 7].
FAQ (Foire aux questions)
Un organisme de formation certifié Qualiopi peut-il sous-traiter des formations à un formateur non certifié ?
Depuis 2024, cela n’est possible que dans des cas très limités. Pour des formations financées (notamment via le CPF), le sous-traitant doit en principe être titulaire de la certification Qualiopi lui aussi [2, 3]. Les seules exceptions concernent certains formateurs indépendants sous régime auto entrepreneur avec un petit chiffre d’affaires, ou des intervenants vraiment occasionnels. En dehors de ces exceptions, un formateur non certifié Qualiopi ne peut plus intervenir en sous-traitance sur une action de formation éligible aux financements publics, sous peine de non-conformité. L’organisme donneur d’ordre doit donc s’en assurer pour rester conforme au référentiel Qualiopi et aux règles du CPF.
Quelle est la différence entre sous-traitance et portage salarial dans la formation professionnelle ?
La sous-traitance implique qu’un organisme de formation confie, par contrat, la réalisation d’une action de formation (en tout ou partie) à une entité tierce, tout en restant responsable de la prestation [9]. Le portage salarial, lui, est un dispositif où un formateur indépendant est salarié d’une société de portage qui facture ses services. Dans le contexte de la formation, le portage salarial ne dispense pas l’organisme donneur d’ordre de respecter les règles Qualiopi. Si la société de portage n’est pas elle même un organisme de formation certifié, recourir à un formateur “porté” équivaut à sous-traiter à un prestataire non certifié, ce qui est interdit pour des formations financées CPF [53]. En somme, le portage salarial classique n’est pas une solution pour contourner l’obligation de certification ; il peut uniquement fonctionner si la société de portage est un organisme de formation déclaré et certifié, faisant alors office de donneur d’ordre.
Quelles clauses doivent figurer dans un contrat de sous-traitance de formation pour être conforme à Qualiopi ?
Plusieurs clauses sont obligatoires depuis le décret de décembre 2023 [39]. Le contrat de sous traitance doit mentionner au minimum : les missions confiées au sous-traitant, le contenu détaillé de la formation sous-traitée, la sanction de la formation (certification, diplôme ou attestation visée), les moyens pédagogiques mobilisés (par l’OF et par le sous-traitant), les conditions de réalisation et de suivi (modalités pratiques, évaluations, etc.), la durée/période de l’action et le montant de la prestation versé au sous-traitant [13, 38]. Ces éléments assurent la traçabilité et la qualité de la prestation. Il est également recommandé d’ajouter des clauses sur la confidentialité, la propriété intellectuelle des supports, la conformité aux procédures Qualiopi, les conditions de résiliation du contrat et la non-sollicitation de la clientèle. Un contrat bien ficelé protège les deux parties et sera un atout en cas d’audit qualité ou de contrôle administratif.
Un formateur indépendant sans NDA ni Qualiopi peut-il intervenir dans le cadre du CPF via un organisme de formation ?
Non, sauf à le faire embaucher comme formateur occasionnel salarié. Pour intervenir dans le cadre du CPF en sous-traitance, un formateur doit obligatoirement avoir un numéro de déclaration d’activité (NDA) et, sauf exception de micro-entreprise sous seuil, être certifié Qualiopi [50, 51]. Les nouvelles règles exigent en effet que les sous-traitants soient des organismes de formation déclarés, à jour de leurs obligations, et soumis aux mêmes critères qualité que le donneur d’ordre. Un formateur totalement indépendant, sans NDA et non certifié, ne peut plus proposer légalement ses services sur des actions financées par le CPF. La seule alternative légale pour lui serait d’être recruté en CDD d’usage ou en vacation par l’organisme (donc avec un statut de salarié) – ou bien d’obtenir lui-même une certification et un NDA pour agir en tant qu’organisme de formation partenaire. Ainsi, le principe est clair : pas de sous-traitance CPF sans structure déclarée et conforme.
Comment l’organisme de formation principal doit-il contrôler la qualité d’une formation sous traitée ?
L’organisme principal doit mettre en place un suivi équivalent à celui qu’il ferait sur ses formations internes. Cela comprend : fournir au sous-traitant les référentiels et procédures qualité à respecter (positionnement initial, évaluations, recueil des appréciations, etc.), s’assurer de la bonne préparation de l’action (validation du programme, des supports, etc.), puis suivre le déroulement (échanges réguliers avec le formateur, éventuellement présence lors de moments clés). Après la formation, il convient de collecter les preuves de réalisation (listes d’émargement, résultats, attestations) et d’analyser les retours des stagiaires (questionnaires de satisfaction) [40, 41]. Ces résultats doivent être partagés avec le sous-traitant et intégrés dans l’amélioration continue. En cas de problème (plaintes, écart de qualité), l’organisme doit déclencher des actions correctives immédiates. En résumé, l’OF principal reste chef d’orchestre : il doit garder la maîtrise du processus pédagogique et du niveau de satisfaction, même si l’exécutant est externe. Il en va de la responsabilité Qualiopi de l’organisme et de la réussite de la formation pour le client final.
Quel est le risque si un organisme de formation sous-traite plus de 80 % de son activité CPF ?
Sous-traiter plus de 80 % de son chiffre d’affaires CPF constitue désormais un dépassement du plafond réglementaire fixé par l’arrêté du 3 janvier 2024 [13]. Ce plafond de 80 % a été instauré pour éviter que des organismes ne soient que des intermédiaires sans réelle valeur ajoutée. Si un organisme dépasse ce ratio, il s’expose à des mesures correctives de la part de la Caisse des Dépôts (qui gère MonCompteFormation). Dans un premier temps, il devra certainement justifier sa situation via la plateforme déclarative (disponible à partir de mi-2025) et pourra être invité à réduire la voilure de sa sous-traitance. En cas de non-respect persistant, la sanction ultime pourrait être un déréférencement de la plateforme CPF, ce qui signifierait ne plus pouvoir proposer d’offres aux titulaires de CPF [4, 5]. Autant dire que c’est un risque majeur pour un organisme dont le CPF est le débouché principal. Il est donc crucial d’anticiper en internalisant au moins 20 % des formations éligibles ou en revoyant son modèle économique pour rester sous ce seuil. En pratique, lors de la première campagne de déclaration (fin 2024-début 2025), les pouvoirs publics accompagneront les OF pour se conformer, mais à terme, le respect du plafond 80/20 fera partie intégrante des contrôles de conformité.
Comment éviter le délit de marchandage dans le cadre d’un contrat de sous-traitance de formation ?
Pour ne pas tomber dans le délit de marchandage (prêt illicite de main-d’œuvre), il faut veiller à ce que la sous-traitance soit une prestation de formation complète et légitime, et non une simple mise à disposition de personnel à but lucratif. Concrètement : assurez-vous que le contrat porte sur un résultat (la réalisation d’une action de formation avec des objectifs, un contenu, une évaluation), et pas uniquement sur le temps de travail d’un formateur. Le prix convenu doit correspondre à cette prestation globale, et non être juste une refacturation de salaire avec marge abusive. Par ailleurs, il ne faut pas que le sous-traitant (ou le formateur) subisse un préjudice par rapport à un salarié équivalent de l’organisme donneur d’ordre [7]. En pratique, payez le sous-traitant à un tarif raisonnable, n’utilisez pas son statut pour éluder des obligations légales (par exemple, ne pas le faire travailler 40h/semaine sans contrat de travail s’il est quasi permanent). Enfin, respectez bien la frontière : le formateur sous-traitant doit conserver son autonomie professionnelle sur la façon d’atteindre le résultat (tout en respectant le cahier des charges), sans être traité comme un subordonné permanent. Si vous suivez ces principes – contenu de formation défini, contrat clair, rémunération équitable, absence de subordination prolongée – vous éviterez que la sous-traitance soit requalifiée en prêt de main-d’œuvre illicite [6]. En cas de doute, n’hésitez pas à prendre conseil auprès d’un juriste spécialisé, car le marchandage est une infraction sérieuse impliquant potentiellement des sanctions pénales pour les deux parties. En résumé, une sous-traitance transparente, équilibrée et axée sur une prestation réelle de formation est la meilleure garantie pour rester dans le cadre légal.
 
            